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Episode 8.06 - Un amour du temps jadis
Par: Tahlia Hein (janeway602@aol.com)

Version française: Laurent (stvoyager@free.fr)

Note: Star Trek: Voyager, personnages et autres produits dérivés sont des marques déposées de Paramount Pictures. Aucune infraction aux droits d'auteurs de Paramount voulue. La Saison 8 virtuelle de Voyager (Voyager Virtual Season 8, VS8) est une entreprise à but non lucrative. L'histoire est propriété de son auteur. Pas de reproduction sans sa permission.


Un amour du temps jadis
 

"Les rêves peuvent-ils répondre aux questions que l'on n'ose poser ?"

L'air de cette nuit d'été était très chaud et poisseux, son poids tombant sur les épaules comme si l'on portait une véritable charge. C'était comme de se déplacer avec difficulté dans une substance visqueuse, sans pourtant sentir le liquide sur son front. Les différentes couches de tissu noir et lourd enserrant son corps ne faisaient rien pour arranger les choses non plus, augmentant simplement le poids de l'air dense sur ses épaules. Au moins, nota-t-elle avec une petite satisfaction, avait-elle choisi de porter une robe aux manches beaucoup plus courtes qu'initialement prévu, de même que de laisser ses cheveux libres, sinon cette sortie dans cette foule n'aurait pas été possible.
La présence de son père occupait tout son champ de vue sur sa droite. C'était un homme grand, quelque peu intimidant pour ceux qui avaient eu à faire à son comportement impulsif. Son visage affichait une certaine sensibilité et de la confiance, mais campé dans l'uniforme gris, il s'imposait d'abord par son efficacité.
Elle était fière, fière de son père, fière de son pays, fière du président Davis et de l'armée.
"C'est redoutable par ici", dit son père. "Rappelle-moi à nouveau pourquoi nous sommes ici ?"
Elle sourit. "Parce que, papa, tu m'as dit que les gens te suivaient au doigt et à l'oeil. De plus", soupira-t-elle, "j'apprécie toujours ces petits moments de paix et de calme quand je suis avec toi."
Son père sourit. "Cette fête est pour toi, chérie, toi et Thomas, et tu n'y es même pas entré pour en profiter."
"Je sais", dit-elle, sa voix se faisant presque un murmure. Elle sourit à nouveau, cette fois avec moins d'enthousiasme, plutôt un soupir. Oui, elle savait que cette fête était pour elle, elle se l'était fait répéter au moins une quinzaine de fois aujourd'hui par sa mère, sa soeur, la mère et la soeur de Thomas, et maintenant c'était son père qui s'y mettait. Elle savait qu'elle n'avait aucune chance d'y échapper.
Elle reporta son regard sur la sombre ligne d'horizon. Le Soleil s'était couché une heure plus tôt, ne laissant que de faibles lueurs le long de cette ligne où le ciel et la terre ne font plus qu'un. Sur une parcelle de terrain située non loin de là, quelque part juste derrière la limite de la propriété, elle remarqua d'autres lumières vacillantes.
"Papa ?" demanda-t-elle, les yeux toujours fixés sur les étranges lumières, "vois-tu ces lumières, le long de la limite ouest ?"
Elle jeta un oeil vers son père, assez rapidement pour le voir plisser les yeux, se posant visiblement des questions sur ces étranges hallucinations. "Oui, on dirait une ligne d'hommes. Je ne suis pas très sûr vue la distance."
"Tes hommes viennent peut-être exprimer leurs félicitations", suggéra-t-elle avec le sourire. Son père commandait un régiment de mille hommes et avait difficilement réussi à obtenir une permission pour la nuit afin d'assister aux fiançailles de sa fille. Il avait blagué un peu plus tôt sur le fait que certains de ses hommes ne le laisseraient partir qu'à condition qu'il les autorise à l'accompagner, une déclaration qu'elle imaginait n'être pas tout à fait fausse.
"Peut-être", répondit-il.
Jamais de celles à laisser tomber les invités, elle leva un bras pour leur faire signe. "Bonjour !" lança-t-elle aux hommes qui marchaient le long de la propriété. "Messieurs ! Vous venez vous joindre à nous ?"
On pouvait entendre le bruit des pas rapides approcher, et elle se tourna vers son père, affichant un large sourire en voyant le visage de son père rayonner de bonheur. Mais tandis que les soldats s'approchaient, elle vit son bonheur se transformer en surprise, puis en horreur.
"Sarah..." dit-il d'un ton faible et tremblant, un maniérisme qu'elle se serait difficilement attendue à voir chez un homme comme son père. Elle sentit sa main la saisir par la taille, une main ferme qui l'agrippait pour l'empresser de bouger.
"Papa ?" demanda-t-elle, confuse de la réaction soudaine de son père.
"Ce ne sont pas mes hommes", l'entendit-elle dire tandis qu'il tentait de la pousser à l'intérieur par les portes de la véranda. Alors qu'elle luttait pour comprendre ce qui se passait, ses yeux se posèrent sur les hommes qui avançaient, et son visage exprima à son tour une expression d'horreur, tandis que les lumières de la maison éclairaient les hommes approchant en manteaux bleus.
Des Yankees.
Elle leur tournait le dos au moment où ils commencèrent à tirer. Son instinct lui dicta de se baisser, ce qu'elle fit. Son père la poussait vers la maison, tandis que devant elle, des objets tombaient des étagères lorsque les balles les frappaient, brisant des lattes de bois en dizaines d'échardes sur le sol. Il tourna la tête pour voir où étaient les hommes, son corps exposé pendant une fraction de seconde. Il était devant elle, et d'un coup... il ne fut plus là.
Il lui tenait toujours le bras, et sa chute l'entraîna sur le sol. Elle vit immédiatement la tache rouge sous son uniforme gris impeccable, juste en dessous de ses cheveux. Sa réaction fut de crier.
"Papa !" cria-t-elle, baissant la tête alors que les balles continuaient de pleuvoir. Elle secoua son père, mais il resta sans réaction, étendu sur le sol. Elle prit sa tête et le haut de son corps dans ses bras, elle-même maintenant assise, sa belle robe étalée sur le sol et déjà tachée de sang. La blessure à la tête de son père saignait sur son corsage, mais elle semblait ne pas s'en apercevoir. "Papa ?" Elle le secoua à nouveau. "Papa, réveille-toi."
La finalité de sa réponse, ou plutôt son absence, l'assoma alors même qu'elle sentait les hommes entrer dans le salon, leurs pas lourds vibrant tandis qu'ils marchaient sur le parquet. Elle les sentit se pencher au-dessus d'elle. Sa première pensée fut de se demander s'ils allaient ou non lui tirer dessus, sa deuxième, si les invités qui se trouvaient de l'autre côté de la maison avaient seulement conscience des coups de feu et de la situation à quelques mètres d'eux.
"Il est..." entendit-elle l'un des hommes demander.
Elle répondit sans quitter des yeux le corps inanimé. "Oui." Sa voix était froide, dure, une réaction qui surprit Sarah elle-même. Elle leva la tête vers eux, les regardant alors qu'ils baissaient leurs armes et inclinaient la tête, comme s'ils étaient en réalité désolés de ce qu'ils venaient de faire. Les bâtards.
Elle observa l'un des soldats dans le fond. "Nous sommes désolés", dit-il, son innocence faisant oublier l'air menaçant des autres soldats. Il avait l'air d'être là uniquement en balade, pensée qui dégoûta encore plus Sarah. Elle ne ressentait aucune pitié pour ce soldat de l'Union aux cheveux noirs.
"Allez en Enfer", aboya-t-elle.
Les hommes, bizarrement, reculèrent, laissant seul celui aux cheveux noirs, abasourdi à la vue de tout le sang et du carnage qu'il avait infligé. Sarah lui jeta un regard furieux, les yeux plissés en l'étudiant avec colère. Il lui semblait... familier, d'une manière qu'elle ne parvenait pas à définir.
Ses yeux...
Catherine Janeway s'éveilla en sursaut.
 
***
 
Le repos de la nuit dernière avait en fait été très peu reposant, et s'était encore transformée en une autre nuit de sommeil perdu pour Catherine Janeway. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, dévoilant une passerelle remplie de membres d'équipage frais et dispos. Elle détestait ne pas pouvoir prétendre à la même chose qu'eux. Ses rêves avaient été très réalistes ces dernières semaines, et si être réaliste pouvait parfois être agréable, la définition de Janeway de ce concept n'incluait pas le fait de regarder le même homme mourir et la même femme bercer son corps dans ses bras nuit après nuit.
Comme elle le faisait chaque matin après ces rêves particuliers, elle rechercha dans sa propre mémoire, essayant de remettre des noms de gens qu'elle avait déjà rencontrées sur les visages familiers qui la hantaient. La femme, dont les mains délicates tenaient le corps mourant de son père, lui semblait assez familière pour être un membre de sa famille, bien qu'elle ne réussisse pas à l'identifier à l'une de ses cousines ou nièces. L'homme, paré de l'uniforme bleu des soldats de l'Union, lui semblait aussi familier, mais plutôt comme un ami et pas un membre de famille. Mais qui que ce soit, ou ait été, Janeway ne parvenait tout simplement pas à remettre un nom sur ce visage.
Janeway n'était pas une experte en histoire de la Terre, mais elle ne se considérait pas non plus comme complètement ignorante. Elle avait pu identifier la période historique de ses rêves particuliers: la guerre civile américaine, à la fin du dix-neuvième siècle. Son expérience passée avec Q l'avait aidé dans son estimation. Elle suspectait que ses rêves étaient plus probablement le résultat d'une imagination hyperactive après plusieurs semaines de privation de sommeil qu'une tentative de Q pour s'amuser à ses dépens.
Avoir été appelée une heure avant que son service ne commence ne faisait rien pour arranger ses peurs de privation de sommeil. Elle venait juste de s'asseoir sur son lit pour apprécier une tasse de café chaud quand l'appel d'Harry était venu la déranger dans ses quartiers. La matinée començait mal, avait-elle pensé.
"Harry", dit-elle, ayant traversé la passerelle jusqu'à la station de l'enseigne.
Elle ne finit pas sa phrase. Elle n'en avait pas besoin. Harry pouvait voir l'humeur de Janeway à ses yeux, la pointe d'énervement d'avoir été tirée de ses quartiers en avance. Mais il ne put s'empêcher de sourire.
"Les détecteurs ont trouvé ce qui semble être un planétoïde inhabité à environ deux années-lumière d'ici."
Le visage de Janeway afficha la crainte et la surprise qu'elle ressentait. "Deux années-lumière ?" L'enseigne acquiesça. "Pourquoi n'est-il pas apparu plus tôt sur les détecteurs ?"
L'enseigne se contenta de hausser les épaules. "C'est comme s'il avait été soudainement.... là."
Janeway se retourna. "Pourquoi cela ne me surprend-il pas dans cette région ?" commenta-t-elle doucement, espérant garder son commentaire pour elle-même, tout en sachant qu'elle n'y était pas parvenue, à la vue des sourires des quelques enseignes à sa droite. Tant mieux, pensa-t-elle, un peu d'humour sera le bienvenu par ici.
Elle s'assit dans son fauteuil, adressant seulement un bref signe de tête à Chakotay tandis qu'elle prenait sa place, une trace de leur récente tension. Elle garda les yeux droits devant elle, fixant la tête du Lieutenant installé au poste de pilotage. C'était une manière d'éviter de croiser le regard du Commandeur, sachant très bien qu'une brève confrontation renverrait sa soudaine bonne humeur dans les tréfonds de son esprit.
"Enseigne, pouvons-nous les contacter ?"
Il y eut une pause avant qu'Harry ne réponde. "Il semble y avoir une petite concentration d'habitations sur l'un des continents occidentaux. J'ouvre un canal de communication."
Janeway prit une inspiration, pour finalement délivrer son message d'accueil standard.
L'extraterrestre qui apparut à l'écran paraissait, à première vue, quelque peu menaçant, et Janeway sentit sa gorge se serrer à l'idée qu'ils avaient encore rencontré une autre espèce violente. Même si seule la moitié supérieure de son corps était visible (elle n'était pas sûre du genre de l'extraterrestre, elle ne pouvait que deviner), Janeway pouvait déjà imaginer que l'individu était très grand et très svelte. Lisse était un adjectif qu'elle aurait aussi pu utiliser pour le décrire.
La première chose qu'elle remarqua fut les yeux sombres qui semblaient parfois rayonner. En fait, remarqua-t-elle, son visage vert entier paraissait émettre un rayonnement, exactement comme un ange dans les anciennes religions occidentales de la Terre. Sa bouche était petite et son nez pratiquement inexistant, juste deux petites fentes entre les yeux et la bouche. Au sommet de son long et étroit visage, il n'y avait pas de cheveux mais plutôt une crête protubérante, qui s'élevait à environ cinq centimètres au-dessus de la tête et continuait derrière dans le dos, du moins supposait-elle. Il portait ce qui semblait être une sorte de robe, que Janeway imaginait serrée autour de la taille, détail qui se trouvait hors de sa vue.
Quand il parla, sa voix était profonde et posée. "Vous êtes étrangers, Capitaine Janeway du Voyager." Le calme de l'extraterrestre et la précision de son commentaire eut un étrange effet calmant sur Janeway et elle ne put qu'acquiescer en guise de réponse. Sa bouche s'arrondit en un mouvement que Janeway apparenta à un sourire. "Vous n'êtes pas hostiles envers nous, vous êtes donc les bienvenus. Je suis le Superviseur Lokal et nous sommes les Inryeths."
Janeway soupira. C'était toujours agréable de voir un visage amical. "Superviseur, nous serions curieux de savoir pourquoi nous ne vous avons pas détecté plus tôt."
Lokal souria légèrement. "Nous protégeons notre colonie, Capitaine Janeway. Nous avons beaucoup d'ennemis qui préfèreraient nous voir détruits et ils ont souvent utilisé les services d'autres vaisseaux. Pardonnez-nous si nous sommes si prudents, mais Nareth est tout ce que mon peuple possède."
Janeway acquiesça. "Bien sûr."
Le ton de Lokal changea et se fit inquiet. "Capitaine Janeway, votre vaisseau a parcouru beaucoup d'espace en très peu de temps. Une visite dans notre colonie vous fournira peut-être un peu de repos dans votre combat ?"
Janeway s'assit, étonnée. "Comment savez-vous..."
Lokal sourit à nouveau. "Pardonnez-moi, Capitaine, il semble que j'ai agi trop rudement. Mon peuple a des capacités.... je crois que vous appelez cela 'télépathie'? Je suis désolé si je vous ai offensé."
Janeway soupira encore, sachant quelque part que Lokal ne voyait pas à mal. Peut-être, pensait-elle, ai-je mes propres 'capacités'. "Superviseur, vous pourriez peut-être nous aider. Nous avons essayé d'identifier cette région de l'Espace en utilisant nos cartes stellaires, mais nous n'avons guère eu de chance de cette manière. Puisque vous êtes des habitants de cette région, serait-il possible que vous nous fournissiez des cartes stellaires plus précises ?"
Lokal réfléchit à la requête pendant un moment, son visage finissant par exprimer l'esquisse d'un sourire. "En temps utile, Capitaine Janeway." Il marqua une pause. "Entre temps, si vous vouliez bien rassembler un groupe parmi vos membres d'équipage, je serais ravi de vous servir de guide pour une visite de Nareth."
Janeway accusa cette déflection à sa question avec un petit soupir et souria rapidement. "J'enverrai une équipe à votre rencontre, Superviseur. C'est toujours agréable de voir un visage amical."
 
***  

Alors que les lueurs du téléporteur disparaissaient, la première chose qui frappa Janeway fut l'air humide de cet... ses yeux inspectèrent l'endroit, retenant 'grotte' comme terme approprié. Ou peut-être 'système de tunnels souterrains' serait-il plus précis, voyant comme la pièce dans laquelle ils se trouvaient s'ouvrait sur cinq tunnels, chacun menant quelque part.
Janeway tourna la tête pour observer l'équipe qui avait été téléportée avec elle. A sa droite, deux enseignes de l'ingénierie avaient sorti leurs tricordeurs pour, suspectait Janeway, scanner la grotte et les tunnels environnants. A sa gauche se tenait Tuvok, son propre tricordeur sorti. Seule Janeway restait limitée à ses seuls cinq sens.
Des bruits de pas écrasant les graviers qui couvraient le sol et l'ombre d'une lumière provenant d'un des tunnels adjacents alertèrent Janeway de l'approche des habitants de la colonie. A la tête du groupe venant du tunnel droit devant eux se trouvaient deux grands extraterrestres, tous deux habillés de longues robes brunes, la tête inclinée. Ils tenaient dans leurs mains une canne dans laquelle était attachée une source lumineuse, qui se balançait à chacun de leur grand pas. Derrière les porteurs de lumière marchait le Superviseur Lokal, suivi de trois autres personnes que Janeway ne pouvait qu'imaginer être des serviteurs. La première description angélique de Janeway était encore rehaussée à la vue complète de ces gens. Le groupe vint s'arrêter devant Janeway et son équipe, et elle ne put s'empêcher de s'émerveiller de la manière dont ils dominaient les membres d'équipage du Voyager, mesurant d'après son estimation quelque chose comme deux mètres cinquante de haut. Les visages des porteurs de lumière demeuraient cachés et inclinés, mais Lokal et les trois autres avaient le teint luminescent.
Toutes leurs robes étaient d'un brun sombre, serrées à la taille par une sorte de ceinture. Janeway nota que les mains de Lokal se croisaient parfaitement à travers son torse, en signe de paix, pensa-t-elle.
"Capitaine Janeway", déclara Lokal, "je vois que vous avez amené des amis."
Janeway sourit. "Oui, Superviseur. Voici quelques-uns de mes membres d'équipage..."
Elle avait eu l'intention de présenter chaque personne de l'équipe d'exploration à Lokal et à son groupe, mais la profonde voix du Superviseur la coupa. "Enseigne Molina et Enseigne Ashmore", dit-il aux hommes de gauche. Ses yeux se levèrent vers Tuvok. "Lieutenant Commandeur Tuvok." Lokal souriait encore, regardant à nouveau Janeway. "Bienvenue."
L'équipe d'exploration était stupéfaite et le sourire de Lokal s'effaça rapidement. "Je suis profondément désolé, Capitaine Janeway. Nous ne recevons pas beaucoup de visiteurs ici."
Lokal entreprit alors de présenter son groupe. Deux d'entre eux, apprit Janeway, étaient l'équivalent d'ingénieurs. "Avec votre permission, Capitaine Janeway, ils pourraient escorter vos deux enseignes jusqu'à une caverne riche en réserves de deutérium." Janeway resta stupéfaite un moment, et réalisa alors que Lokal avait dû ressentir l'intérêt des enseignes dans les traces de deutérium qu'ils avaient relevées depuis le Voyager.
Janeway acquiesça et les deux ingénieurs Inryeths tournèrent les talons, faisant signe aux enseignes de les suivre. Elle regarda les quatre personnes disparaître dans le tunnel dont avait précédemment émergé le groupe. Son regard se reporta sur Lokal, qui était en train d'étudier attentivement Tuvok.
"Vous avez un équipage très intéressant, Capitaine Janeway", dit Lokal, le regard toujours porté sur Tuvok. Janeway le remercia rapidement tandis que son regard se tournait vers elle. Immédiatement, ses défenses se levèrent et Lokal souffla légèrement. "Je suis désolé, Capitaine Janeway." Elle assura à Lokal qu'il n'y avait aucun mal de fait. Il leur proposa une visite de la colonie souterraine. Janeway accepta; faisant un signe de tête à Tuvok.
L'air humide fit rapidement place à un courant plus froid alors qu'ils entraient dans l'un des tunnels. Regardant vers le haut, Janeway estima la hauteur du tunnel à au moins trois mètres, une dimension adaptée à la taille inhabituelle des Inryeths. Le sol de la caverne en pierre naturelle et sable se changea bientôt en carrelage lisse et uniforme aux dessins géométriques. Ses bottes, ainsi que celles de Tuvok, faisaient un bruit sourd sur le carrelage, mais celles de Lokal ne faisaient aucun bruit, malgré leur apparence similaire.
"Dites-moi, Superviseur, pourquoi garder cette colonie cachée ?" La voix de Tuvok ressemblait presque à un écho sur les murs naturels du tunnel.
"Nous sommes un peuple pacifique", répondit Lokal, "mais nous nous sommes fait quelques ennemis au cours de notre histoire. C'est une des raisons pour lesquelles nous sommes seuls dans cette colonie et pourquoi nous avons choisi de nous cacher." La réponse de Lokal était mystérieuse pour Janeway, mais elle suspectait que ce ton correspondait à une conduite délibérée pour leur cacher une partie de la vérité.
L'attention de Lokal, cependant, se portait maintenant sur Tuvok et la suspicion lui passa. "Vous et moi sommes en quelque sorte semblable, Commandeur."
"Dans quelle mesure ?"
Lokal sourit. "Votre idée d'un 'katra'. C'est très semblable à notre 'nula'." L'intérêt de Tuvok était piqué, Janeway le voyait au lever de sourcil du Vulcain. Visiblement, Lokal s'était aussi pris d'intérêt au sujet. "Nous pensons que toutes les expériences d'une personne se situent dans son 'nula', qui enregistre les événements de toutes les vies antérieures d'une personne." Les yeux de Lokal se déportèrent sur Janeway. "Capitaine, je crois que vous appelez cela l'âme."
Janeway souriait en imaginant la comparaison. Lokal continuait. "Afin que quelqu'un puisse vivre une vie productive, il doit atteindre le complet nula qui est en lui par une série de méditations, dans lesquelles les expériences se révèlent dans des rêves dont on retire des leçons." Les yeux de Lokal semblaient rayonner pendant qu'il parlait. "C'est réellement une merveilleuse expérience. Ces rêves... ce sont des fenêtres sur un passé auquel nous devons assister afin d'aller de l'avant."
L'image de la jeune femme de son rêve s'imposa soudainement à l'esprit de Janeway. Ce rêve était-il uniquement le produit de son imagination hyperactive ? Ou faisait-il partie de son 'nula', comme Lokal le pensait ? Mais son esprit rejeta cette idée, la considérant simplement comme une pensée provoquée par la nature suggestive des paroles de Lokal.
Lokal continuait toujours, sa profonde voix expliquant l'origine de toutes les cavernes dans lesquelles ils marchaient. Mais pour l'instant, son esprit n'arrivait pas à se débarrasser des yeux étrangement familiers du soldat de l'Union.
 
***  

Les portes de ses quartiers se fermèrent avec un sifflement singulier, laissant Janeway seule dans l'obscurité et le silence de la pièce. Cela lui convenait, les activités de la journée et son excitation continuant de bourdonner dans sa tête avec une frénésie dont elle n'avait pas encore récupéré. Elle traversa la pièce pour finalement s'affaler sur son lit.
Lokal était un être très généreux et il était avide de faire découvrir sa colonie à Janeway et Tuvok. Les opérations minières, les salles de dîner, les quartiers des artisans et d'habitation, la centrale énergétique, le temple. La tête lui tournait quand elle essayait de faire le compte du nombre de pas faits dans la journée, son esprit obnubilé par le système sans fin de tunnels et de grottes que Lokal semblait connaître par coeur.
Elle se rappelait le premier endroit qu'ils avaient visité, la centrale énergétique. Lokal avait été si fier de leur technique de production. Il avait expliqué comment les premiers habitants de la colonie avaient démantelé les réacteurs ioniques des vaisseaux de leur flotte et les avaient reconfigurés pour les utiliser comme source d'énergie pour la colonie en évitant les émissions précédemment détectables. Il avait l'air si fier de ces réacteurs, en dépit du fait qu'il n'avait probablement pas vécu lui-même le processus complet.
Janeway soupira, laissant tomber sa tête en arrière pour se reposer sur le lit. Ce dont elle avait besoin était la caféine contenue dans une tasse de café, mais pour le moment, ses jambes semblaient trop fatiguées pour faire le moindre mouvement. Ses yeux se fermèrent pendant qu'elle baillait profondément, mais elle força son cerveau à rouvrir ses yeux une fois de plus. Elle savait ce que le sommeil lui apporterait, toujours ces mêmes rêves de mort et de nouveaux maux de tête. Ce n'était guère une perspective qu'elle recherchait.
Pourtant Janeway savait qu'il lui faudrait en fin de compte dormir. Bien sûr, elle pouvait aller voir le Docteur et lui demander un stimulant pour la garder éveillée, mais elle savait aussi que ses questions la forceraient à lui révéler ses rêves, et la dernière chose dont elle avait envie était de donner une autre raison au Docteur pour qu'il la harcèle de questions. Elle se décida pour le café, résolue à se lever.
Elle se reposa un instant, appréciant le silence et l'obscurité. Comme cela était confortable....
 
***  

Sarah ne savait pas ce qu'elle faisait dans la grange à cette heure précoce de la journée, et pourtant elle se trouvait là, parmi les foins et l'insupportable puanteur des chevaux. Bizarrement, la solitude des murs de bois la réconfortait.
Tenter de trouver une échappatoire à l'influence que son père avait sur la tenue de la maison était difficile, et puisque ranimer les souvenirs de sa mort n'était pas quelque chose qu'elle désirait pour le moment, elle se réfugiait dans le seul endroit que son influence n'avait pas atteint, les étables. Il avait toujours pensé qu'il n'était absolument pas nécessaire de conserver autant de chevaux, malgré le fait que sa fille unique aimât la beauté des étalons noirs. Sa mère avait cédé à ce plaisir, mais son père avait rarement mis les pieds dans ces murs. Cela en faisait l'endroit parfait pour s'échapper.
Le fait que son apparence était loin de celle d'une demoiselle de son rang avait aussi poussé Sarah à se réfugier dans un endroit tranquille. Elle était simplement vêtue de sa chemise blanche et des sous-vêtements qui allaient avec la culotte d'équitation, une tenue qui n'était guère celle d'une demoiselle. Dans ses bras nus, elle tenait l'un des fusils de son père qu'elle avait pris pour sa protection. Quelques esclaves avaient rapporté qu'un soldat de l'Union se cachait dans les parages, et Sarah n'avait aucune envie de tomber dans une embuscade.
Le son d'une boîte métallique se refermant attira l'attention de Sarah, et elle arma immédiatement son fusil, le pointant devant elle. Ses yeux scrutèrent l'étable, ne trouvant rien qui semblait vivant.
Une autre boîte tomba sur le sol derrière elle, et elle se retourna, à moitié surprise d'y trouver une silhouette accroupie, près d'une des étagères. L'homme portait un uniforme bleu et sale, et elle pointait son fusil droit dans son dos.
"Un geste et vous êtes mort", annonça-t-elle.
Le soldat releva la tête, et Sarah s'arrêta de respirer. Le soldat aux cheveux bruns était celui qui était resté dans son salon quatre jours plus tôt, le même soldat qui avait été là lorsque ses camarades avaient tiré sur son père sans raison apparente. Elle sentait le dégoût revenir en elle.
"Donnez-moi une seule bonne raison pour que j'épargne votre vie, Yankee", lui demanda-t-elle.
Le soldat se tenait maintenant debout, la dominant nettement, et Sarah se retrouva le regard plongé dans les plus profonds yeux verts qu'elle avait jamais vus. C'était étrange, de voir de tels yeux verts chez un homme aux cheveux bruns. Tout d'un coup, elle réalisa son manque de jugement et pointa à nouveau le fusil sur lui.
Ses bras restaient sans réaction le long de son corps, les preuves de son raid matinal - une petite boîte encore chaude et pleine de haricots - dans la main. Quand il parla, sa voix était aussi innocente et prudente que quatre jours auparavant. "Il n'y en a aucune", dit-il, avec un fort accent du nord.
Avec sa propre tranquillité typique du sud, il lui fallut un moment pour répondre. "S'prendre une balle pour le bien d'son pays. Comme c'est patriotique", commenta-t-elle, sarcastique et amère.
Elle ne sut pas vraiment pourquoi elle fit ce qu'elle fit par la suite. Elle se vit baisser le canon de son fusil, le pointant vers le sol. Elle regarda le soldat, mais l'expression de celui-ci restait inchangée.
"Finissez avant qu'je change d'avis", ajouta-t-elle, mais le soldat demeura immobile. Elle ne savait pas trop s'il était effrayé ou s'il la défiait. "Vous allez simplement rester là ?"
Le soldat sourit. "Savez-vous seulement comment se servir de ce fusil, Mademoiselle ?"
Sarah jeta un regard noir au soldat, le visage empourpré de colère. "Ouai", répliqua-t-elle. "Mon père m'a appris comment tirer."
La mémoire ne lui revenait apparemment pas plus qu'au soldat, malgré le fait que lui-même avait été le témoin de la fin de la vie de cet homme. Au lieu de cela, il sourit. "Cela ne fait pas très féminin."
Sarah ne savait pas pourquoi, mais elle se mit à rire. Elle regarda le soldat lui tendre la main. "Levi Sullivan", dit-il en se présentant.
Elle estima l'homme pendant un moment avant de lui rendre la pareille. "Sarah Biddle."
"Dieu", dit-il, saisissant sa main, "c'est un véritable rock que vous avez là." Elle essaya de retirer sa main, embarrassée, mais la main de Levi la tenait si fermement que cela ne fit que resserrer l'étreinte. Naturellement, elle avait choisi de lui serrer la main avec celle portant l'alliance de fiançailles de Thomas. Mais si elle n'avait jamais hésité de montrer le magnifique bijou auparavant, dans cette rencontre, soudainement, cela lui semblait tout à fait inapproprié. Elle baissa immédiatement les yeux vers le sol.
"Je suis fiancé, moi aussi", poursuivit-il, intéressant à nouveau subitement Sarah, ne se sentant plus si seule. "Il y a une femme qui m'attend là-bas à Philadelphie."
"Vraiment ?" ajouta Sarah, ne trouvant rien d'autre à répondre. Le moment était, en fin de compte, extrêmement mal venu. Elle jeta un bref regard au visage de Levi, et se sentit quelque peu rassurée de voir qu'il ne savait pas non plus quoi dire.
"Euh", dit-elle sans attendre, "vous pourriez me rendre ma main."
Cela sembla faire sortir Levi d'une sorte d'état de transe. "Quoi ?" Ses yeux virent sa main dans celle de Sarah et il la relâcha très vite. "Désolé", ajouta-t-il avec embarras.
"Eh", finit par dire Sarah, "il n'y a pas de mal, mais vous n'êtes pas exactement le soldat typique." Il était vrai que l'innocence et la naïveté de l'homme surpassaient même celles d'un soldat débutant. Il devait avoir environ vingt-cinq ans, comme Sarah, mais il affichait encore l'innocence d'un jeune garçon.
"Ouai", répondit Levi, fixant le sol et tapotant les pierres qui étaient à portée de ses pieds. "J'espère que je n'en ai pas l'air. Je suis juste là pour quelque temps."
"Pourquoi s'engager, alors ? Vous croyez que vous avez quelque chose à prouver à quelqu'un ?" sourit-elle. "Impressionner cette fille qui vous attend ?"
"En se faisant tuer ?" répondit-il, regardant en l'air, le sourire aux lèvres. Sarah apprécia le bref ravissement visible sur le visage de l'homme. "Non, ce n'est pas pour cela. Il fallait que je me batte pour ce que je pense être bien, vous voyez ?"
"Ouai", répliqua-t-elle prestement, "je devine."
Mais au lieu de s'arrêter, Levi continua, inconscient du malaise de Sarah. "Je veux dire, c'est comme là d'où je viens, tout n'est pas parfait, mais au moins nous traitons tout le monde comme des personnes à part entière. Mais ici ? Non, il n'y a aucune égalité ici." Il marqua une pause. "Ce qu'ils font ici est mal, je vous l'dis. Faire travailler quelqu'un et le battre comme ça ? C'est pas moral. Ce sont des manières de gens sans morale. Des sauvages."
Sarah sentait à nouveau la colère familière bouillir dans ses veines. "Des sauvages, hein ?" Elle jeta un regard noir direcetement dans les yeux de Levi. "Vous pensez que je suis une sauvage ?"
Levi se rendit compte de son erreur et essaya de calmer sa colère naissante, mais Sarah ne se sentait plus d'humeur à écouter ses remarques condescendantes.
"Sortez", répliqua-t-elle d'un ton relativement calme. Levi commença à protester, mais elle éleva la voix ainsi que le fusil qu'elle tenait toujours dans ses bras. "Ne me faites pas répéter."
L'air défait et sincèrement blessé, Levi se retourna et sortit de la grange, la petite boîte métallique de haricots toujours serrée dans sa main. Cela et une blessure interne étaient les seules choses qui lui restaient de son passage chez Sarah.
Sauvages, pensa Sarah, pourquoi cela ne me surprend-il pas...
Janeway s'éveilla en sursaut, hantée par ses propres mots, résonnant encore dans sa tête. Tout d'abord, son esprit fut soulagé de pouvoir méditer sur un rêve différent, mais le mystère retombait toujours dans la même impasse qu'avant. Mais il y avait autre chose, les mots de quelqu'un d'autre qui essayaient d'entrer dans son cerveau, lui demandant, lui réclamant de...
"Passerelle au Capitaine Janeway. Capitaine, veuillez répondre."
Elle s'assit précipitamment, réalisant qu'elle s'était endormie sur son lit. Sa main appuya sur son communicateur toujours en place sur son uniforme. "Je suis là, Harry."
"Capitaine, un des réacteurs sur la surface de la colonie semble mal fonctionner."
Janeway soupira, elle commençait à ne plus supporter la passerelle. "J'arrive, Harry. Janeway terminé."
 
***  

Les portes de la passerelle glissèrent, et Janeway n'eut pas le temps de faire plus d'un pas hors de l'ascenseur avant que le vaisseau ne fut secoué. Le mouvement soudain déstabilisa Janeway et elle eut à peine le temps de se raccrocher à la cloison près de la station de Tuvok.
"Au rapport", cria Janeway tout en se dirigeant vers son fauteuil, essayant à chaque pas de compenser les vibrations qui secouaient le vaisseau, la sonnerie de l'alerte rouge projetant des ombres rouges intermittentes dans la passerelle.
"C'est un des réacteurs ioniques de la colonie, Capitaine", répondit Harry. "Les senseurs ont détecté une surcharge, il y a deux minutes."
Une surcharge ? Janeway était certaine que ces réacteurs étaient en bon état lorsqu'elle les avait visités un peu plus tôt. "Quelle était cette perturbation qui a secoué le navire ?"
"Une onde de particules alpha, probablement le résultat de la surcharge du réacteur", répondit à nouveau Harry.
"Avez-vous contacté la colonie ?" demanda Janeway.
"Pas de réponse", dit gravement Harry.
Janeway regarda l'écran avec attention pendant un moment. Ce qui avait été jusque là une atmosphère claire était désormais couverte de radiations mortelles. Il semblait que la plus forte concentration était centrée au-dessus du continent où se trouvait la colonie. Elle repensa à ce que leur avait dit Lokal à elle et à Tuvok lors de leur visite. Elle se souvenait qu'il avait mentionné des protocoles dans un cas comme celui-ci. Sur le moment, elle n'y avait pas prêté l'attention qu'elle aurait due.
"Tuvok", demanda-t-elle, "vous vous souvenez de ce que nous a dit le Superviseur à propos des protocoles en cas de surcharge ?"
Tuvok réfléchit à la question pendant quelques instants, son esprit essayant de se souvenir des mots de Lokal. "Le Superviseur a mentionné que la centrale énergétique et les quartiers environnants étaient protégés par une couche de roches impénétrables aux radiations."
"Harry", dit Janeway, en se tournant pour faire face à l'enseigne, "je veux que vous établissiez un verrouillage sur tous les signes vitaux dans la centrale énergétique et dans un rayon de cinquante mètres autour, et que vous les transportiez à l'infirmerie."
Les doigts d'Harry volèrent sur les contrôles. "J'ai quinze signatures, initialisation de la téléportation." Les yeux de Janeway se reportèrent sur l'écran pendant quelques instants avant que des signaux d'alarme n'émanent de la console d'Harry. "Quelque chose ne va pas, Capitaine."
"Ce sont les particules alpha", annonça Chakotay. "A cette distance, le rayon du téléporteur ne s'étend pas sur plus de quelques kilomètres avant de commencer à se dégrader."
"Tom", aboya Janeway, faisant se retourner le pilote dans son fauteuil, "pouvez-vous nous amener plus près ?"
"Ce ne serait pas prudent", fit Tuvok depuis sa station. "Je détecte des niveaux élevés de radiations gamma près de l'atmosphère de la planète. Si nous tentons d'effectuer un transport de plus près, l'intégrité structurelle du vaisseau risque d'être endommagée."
Janeway réfléchit aux différentes options possibles. Elle ne pouvait absolument pas faire demi-tour et laisser les radiations tuer ces quinze personnes, mais se rapprocher plus près risquerait la vie des gens à bord de son propre navire. Le moment était tendu, alors qu'elle soupesait l'importance des deux groupes.
"Harry, si nous nous approchons, le rayon ne se dégradera pas, n'est ce pas ?" demanda Janeway.
Harry confirma. "Théoriquement, non. Les concentrations de particules alpha sont moins fortes, et les radiations gamma ne dégradent pas le rayon du téléporteur comme le font les particules alpha."
"A combien devrions-nous nous rapprocher ?"
Harry jeta un oeil rapide à Tuvok avant de répondre. "Cinq cents kilomètres, peut-être huit cents." Sa voix était hésitante. "Mais sans les boucliers, les dommages au vaisseau seraient - "
La main de Janeway coupa court à la phrase d'Harry. "Tom, je veux que vous nous ameniez dans les cinq cents kilomètres," ordonna-t-elle.
"Capitaine !" cria Chakotay. "Vous allez mettre ce navire en morceaux !"
Elle se retourna vers lui, et le regarda fixement, un air de colère et de défiance dans les yeux. "Je ne vais pas rester là et regarder ces gens mourir, Chakotay. Si vous voulez mettre en doute mes ordres, alors je vous suggère de quitter ma passerelle." Elle se retourna vers Tom. "Maintenant, Lieutenant."
Le silence régnait tandis que Tom annonçait qu'il rapprochait le vaisseau. Les consoles derrière elle commencèrent à émettre des avertissements sur les fortes tensions auxquelles était soumise l'intégrité structurelle. Les vibrations du navire devinrent rapidement des secousses de plus en plus violentes et Janeway dut s'agripper aux bords de son siège afin de ne pas tomber.
"Cinq cents kilomètres", annonça Tom.
"Maintenant, Monsieur Kim."
"Téléportation initialisée", annonça Harry. Personne ne soufflait mot en attendant que le transport se finisse, et le vaisseau continuait à vibrer et à s'agiter pendant que les radiations mettaient à mal sa structure. "Je les ai ! Les quinze sont dans l'infirmerie !"
Janeway ne put retenir le sourire qui se formait sur son visage. Ses yeux repassaient d'Harry à l'écran, passant rapidement par Chakotay qui, assis sans afficher aucune émotion, lui retournait son regard.
"Tom, sortez-nous de là", ordonna-t-elle.
"Très bien, Capitaine."
 
***  

Les portes de l'infirmerie s'ouvrirent, révélant une atmosphère quelque peu chaotique. Tous les lits médicaux étaient occupés d'Inryeths blessés. Quand les lits n'étaient plus disponibles, les blessés restaient simplement debout. La plupart d'entre eux avaient seulement les mains ou le visage marqués par ce que Janeway imaginait être les radiations, rien que le Docteur ne puisse traiter avec un régénérateur dermique.
Son regard se porta sur une forme sans vie couchée sur le ventre sur le lit médical principal, le Docteur penché par-dessus. Sa peau autrefois verte et rayonnante était maintenant brûlée et atrocement cloquée et Janeway nota avec horreur que c'était quasiment la couleur de sa robe brune sombre. Elle ne pouvait qu'imaginer qu'il s'agissait de l'un des ingénieurs près du coeur au moment de la surcharge.
"Capitaine !"
Janeway se retourna vers la voix profonde et familière, découvrant Lokal parmi les colons blessés. Elle nota avec une pointe d'humour qu'il était le seul sans brûlure aux mains ou au visage. C'était bien sûr parce que Lokal n'avait pas été téléporté avec les blessés, mais après coup pour rencontrer les survivants. Bien que les Inryeths n'eussent pas la possibilité physique des humains de sourire, Janeway aurait juré que son visage rayonnait plus que d'habitude et que les coins de sa bouche étaient tournés vers le haut à la manière d'un sourire.
"Capitaine Janeway", dit-il une seconde fois, ses longs doigts sveltes se courbant autour des siens dans un geste d'amitié, "Je ne sais pas comment je pourrai seulement commencer à vous faire part de ma reconnaissance pour ce que vous avez fait."
"Superviseur, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de - "
Lokal lança ses bras en l'air d'un air moqueur de contrariété. "Vous avez risqué la vie de votre navire et de votre équipage pour sauver la vie de complets étrangers." Il soupira de contentement. "Des remerciements et notre reconnaissance sont au contraire nécessaires. Je ne sais pas comment cette tragédie se serait terminée si vous n'aviez pas été là pour nous secourir."
Janeway sourit. C'était assurément un visage ami. "Notre Docteur est en train de soigner les blessés et quelques-uns de mes membres d'équipage ont offert leur aide pour la décontamination et les réparations."
Lokal acquiesça, les yeux fixés sur le visage de Janeway qui ne savait plus quoi dire d'autre. Ses yeux sombres s'étrécirent et elle réalisa soudain qu'il était en train de... elle ne pouvait pas trouver de meilleure définition que 'scanner' pour décrire cela. "Il y a autre chose", dit-il finalement. "Quelque chose qui vous touche personnellement, dont vous aimeriez discuter avec moi."
Janeway hocha la tête un peu embarrassée. "Oui", accorda-t-elle. Après un moment, sa main indiqua les portes de l'infirmerie, demandant en silence à Lokal de bien vouloir se joindre à elle pour une balade. Il acquiesça de la tête en signe d'acceptation.
Ils marchèrent le long d'un couloir pendant un moment, silencieux, avant que Janeway ne finisse par prendre la parole. "Notre conversation à propos de toutes les vies antérieures d'une personne, la réincarnation... c'est très similaire aux croyances de religions sur ma planète, le bouddhisme ou l'hindouisme. Que nous, en tant qu'être, naissons encore et encore parce que nous échouons à voir les erreurs sur notre chemin, et que nous devons alors revivre chaque vie séquentiellement jusqu'à ce que nous y parvenions."
Lokal regarda Janeway de côté. "Je sais que ce n'est pas de comparaisons entre nos croyances dont vous vouliez me parler."
Le commentaire fit apparaître un sourire sur les lèvres de Janeway. "En fait, je repense à ce que vous disiez, à propos de vos méditations qui se manifestent au travers de rêves." Elle marqua une pause, espérant que les talents de Lokal finiraient de répondre à ses inquiétudes. Mais il se contenta de la regarder, attendant la suite de ses paroles. "J'ai eu moi-même des rêves, mais ce ne sont pas des rêves ordinaires. J'ai fait le même pendant des jours jusqu'à maintenant, et aujourd'hui seulement, il a changé. Mais les gens sont toujours les mêmes... c'est presque comme si je regardais une histoire non finie. Ils sont si réels." Elle nota que Lokal était toujours en train de l'étudier consciencieusement, et elle continua. "Ces gens... ils me semblent si réels que je crois les connaître, que je pourrais les reconnaître, et pourtant je n'y arrive pas. Mais je continue à sentir que je le pourrais."
Le silence régnait entre eux deux tandis que Lokal réfléchissait. "Vous croyez honnêtement que ces expériences font partie de votre 'nula' ?"
Janeway savait que cette question n'était pas faite pour la rendre ridicule. Lokal voulait juste juger sa réelle croyance dans une chose comme le 'nula'. "Pour être honnête, Superviseur, je ne suis pas certaine de ce que signifient ces rêves. Mais mon esprit ne peut oublier ces choses que vous avez dites, et..."
Elle n'avait pas besoin de terminer d'exprimer ses pensées, car elle vit que Lokal était en train de sourire, ou exprimer quelque chose s'approchant d'un sourire. "Vous voulez que quelqu'un vienne et vous dise exactement ce que ces expériences signifient, n'est ce pas ?" L'être émit un son que Janeway ne put décrire autrement que comme un gloussement. "Vous aurez vos réponses, Capitaine, vous aurez vos réponses au moment approprié."
 
***  

Journal de bord du Capitaine. Cela fait une semaine que la surcharge du réacteur de la colonie Inryeth a eu lieu, et l'équipage a apporté une aide très serviable aux réparations. L'atmosphère est pratiquement purgée de ses radiations et la centrale énergétique ainsi que les tunnels environnants ont été décontaminés. L'équipe de réparations estime que d'ici demain, les Inryeths devraient être capable de retourner dans la centrale sans avoir besoin d'équipement protecteur. Fin d'enregistrement.
L'équipe de commandement recevait un visiteur à leur réunion: le Superviseur Lokal. Il était resté à bord du Voyager depuis la surcharge et resterait jusqu'à ce que le nettoyage et la rétention soient complets. Dans un geste de bonne volonté, Janeway l'avait autorisé à se joindre à eux à la réunion avec la promesse d'une substantielle mise à jour concernant les progrès des réparations.
Pour sa part, Janeway resta dans son fauteuil pendant que Chakotay prenait en charge la majeure partie de la réunion, expliquant du mieux qu'il pouvait les nombreuses réparations qui avaient été effectuées. Elle restait simplement en arrière plan, fournissant quelques commentaires çà et là.
Un diagramme du système de tunnels et de grottes de la colonie avait été affiché sur le moniteur. Lokal l'étudiait attentivement. "Ceci", dit Chakotay, pointant son doigt sur le diagramme, "est ce que les senseurs du Voyager ont enregistré comme niveau de radiations avant l'accident." Il appuya sur un contrôle et la centrale énergétique et les tunnels alentour se teintèrent de rouge. "Voici ce que les senseurs ont enregistré après l'accident."
"Les radiations sont en rouge ?" demanda Lokal à Chakotay, qui lui confirma.
Il appuya sur le moniteur une seconde fois et tout le rouge des tunnels disparut, ne laissant que quelques traces de rouge dans la centrale, autour du réacteur accidenté. "Voici ce que les senseurs ont enregistré, il y a une heure."
Le rayonnement sur le visage de Lokal sembla s'accroître tandis que ses yeux étudiaient le moniteur. "Votre équipage a fait tout cela en seulement une semaine ?" demanda-t-il à Chakotay, qui acquiesça avec le sourire. Lokal secoua la tête. "Je ne sais pas quoi dire, Commandeur."
"Tout n'est pas parfait", répliqua Chakotay, "mais au moins c'est réparable."
Une onde de familiarité submergea Janeway instantanément, et elle entendit un léger et pratiquement inaudible souffle s'échapper de ses lèvres. Jusqu'à présent, même si elle avait pu se souvenir de la trame générale des événements de ses rêves, elle n'avait pas été capable de se rappeler le moindre dialogue échangé entre la jeune femme et le soldat de l'Union. Mais maintenant, sa voix résonnait dans son esprit. 'Tout n'est pas parfait, mais au moins nous traitons tout le monde comme des personnes à part entière'. Janeway ne savait pas ce qui avait ramené cet étrange sentiment, provoqué par le choix de ces mots familiers de Chakotay.
"Capitaine ?"
Les yeux de Janeway se relevèrent pour voir l'équipe de commandement qui la regardait fixement, l'air inquiets. C'était la voix d'Harry qui l'avait tirée de sa rêverie.
"Je suis désolée", s'excusa Janeway. Il y eut une nouvelle pause, et l'équipe continua de la regarder.
"Quoi ?"
Chakotay se contenta de secouer la tête, son regard plongeant vers le sol, et Janeway sut qu'il était en train de murmurer quelque chose silencieusement dans sa barbe. Harry le regarda un moment avant de reprendre la parole. "Je demandais si vous vouliez ajouter quelque chose."
Janeway resta silencieuse un moment, son esprit réfléchissant encore à la question. "Non", répondit-elle finalement. "Vous pouvez tous disposer."
L'équipe se contenta d'acquiescer, chacun repartant dans sa direction vers son poste. Seul Lokal resta après le départ de tout le monde, prenant le temps d'étudier Janeway. Mais il ne dit rien, puis quitta la salle de réunion avant que Janeway ne saisisse cette opportunité.
 
***  

Janeway avait laissé les événements de la réunion mijoter dans sa tête pendant tout le restant de la journée, laissant son côté scientifique divaguer sur le comment et le pourquoi des impressions qu'elle avait ressenti. Son sens du rationnel lui dictait une raison. Bien sûr, les rêves étaient la connexion, mais pas à cause d'une quelconque vie antérieure, et ils n'étaient pas non plus la suggestion d'une réincarnation. Au lieu de cela, c'était la privation de sommeil, résultat de ses troubles émotionnels causés par les rêves, qui devait jouait des tours à son inconscient. Son esprit scientifique lui disait que ce n'était pas de la familiarité qu'elle ressentait, mais de l'épuisement.
Cependant, comme avant, son esprit ne pouvait pas se débarrasser des mots du Superviseur Lokal et de la manière dont il l'avait regardé avant de quitter la salle de réunion. C'était comme s'il sentait exactement ce qu'elle ressentait. Cela lui torturait l'esprit, et c'était cette raison qu'elle se retrouvait devant ses quartiers d'invité du Voyager, sonnant à sa porte.
Il se passa un moment avant que la porte ne s'ouvre, le Superviseur se tenant devant elle, la dominant de sa hauteur. Il l'étudia pendant une seconde, puis s'écarta de la porte, l'invitant d'un geste à entrer, ce qu'elle fit.
Dans les quartiers provisoires du Superviseur, ils continuèrent de garder le silence pendant un court moment. Lokal s'était assis sur son lit sous la baie vitrée, mais Janeway avait choisi de rester debout. Il l'étudiait à nouveau, comme il le faisait souvent en sa présence. Il finit par prendre la parole. "Vous désirez parler de ce qui s'est passé plus tôt dans la journée, n'est ce pas ?"
"Oui", répliqua-t-elle, à peine étonnée. Janeway le savait désormais, elle ne devait pas être surprise des capacités du Superviseur à exprimer exactement ce qui se passait dans son esprit. Au début, cela lui paraissait être une inacceptable invasion de sa vie privée, ses capacités à pouvoir conserver ses pensées privées diminuantes en sa présence. Mais elle savait que ce n'était en aucune façon un comportement brutal, c'était simplement dans sa nature. Et même si elle pensait que c'était parfois un désavantage, dans un moment comme celui qu'elle vivait, pouvoir alléger la charge qu'elle n'arrivait pas à s'expliquer elle-même était toujours plus agréable. "Pendant la réunion aujourd'hui, je sentais que.... j'avais l'impression d'avoir déjà entendu les mots qui étaient dits. Tout me semblait -"
"Familier ?" Janeway resta silencieuse un moment, remettant de l'ordre dans son esprit, puis elle acquiesça. Un léger sourire passa sur les lèvres de Lokal. "Capitaine, je crois avoir la solution à votre problème." Elle savait que ses sourcils s'étaient relevés à cette remarque, son intérêt piqué. "J'aimerais vous guider jusqu'au 'dah-tel-nula', une des méditations dont je vous ai parlé. Cela pourrait vous aider à éclaircir vos doutes et vos inquiétudes concernant ces rêves."
Janeway réfléchit à la suggestion de Lokal. Son esprit avait toujours été ouvert à la possibilité d'une solution spirituelle, cependant elle avait toujours préféré favoriser l'effet d'une injection hypodermique ou quelque chose de plus scientifique. Bien qu'elle respectât les coutumes religieuses des autres cultures, elle n'avait jamais été de celles qui y mettaient toute leur confiance. Et la voici qui se tenait là, en discutant comme une solution, comme s'il s'agissait d'antibiotiques. Elle n'était pas certaine de croire qu'un 'nula' se trouvait en elle, récoltant les expériences de ses vies antérieures et de celle-ci. Néanmoins, elle ne pouvait pas se permettre de laisser passer l'opportunité d'une bonne nuit de repos.
Finalement, elle acquiesça en adressant un sourire à Lokal. Elle avait accepté.
 
***  

Selon Lokal, afin que la méditation produise un effet positif sur Janeway, elle devait tout d'abord se préparer. Cet entraînement comprenait une étude des croyances religieuses des Inryeths, dans le but d'essayer de comprendre l'expérience qu'elle allait vivre. Pour cela, Lokal avait réussi à lui trouver une copie du 'ku-vah-nula', le livre spirituel qui détaillait les origines du 'nula' et les méditations qui y étaient associées.
Janeway se contenta simplement de lire le 'ku-vah-nula' qu'on lui avait donné en diagonale. Même dans la version condensée que Lokal avait reproduite, c'était un livre qui avait du mal à tenir dans quatre ou cinq tablettes électroniques. L'idée majeure que ce texte mettait en avant était la valeur de la compréhension de son propre 'nula'. Toute tentative par une personne d'utiliser ses expériences pour un gain personnel autre que l'amélioration de ses connaissances était irresponsable et contre les principes qui guidaient les croyances des Inryeths. Le processus n'était pas exempt de danger pour le mental et les résultats positifs n'étaient presque jamais garantis. Cependant, des intentions bienveillantes étaient presque toujours honorées.
La méditation que Lokal avait l'intention de faire, une 'dah-tel-nula', était celle où une personne, guidée par un Maître, s'unissait avec une mémoire errante ou une expérience sous la forme d'une vision ou d'un rêve. Cette méditation était utilisée strictement comme une introduction. Aucun degré supérieur de connaissance autre que la paix apportée par cette méditation ne pouvait être atteint ici. C'était ce qu'elle voulait, pensait Janeway. Elle n'avait aucune intention de transcender une quelconque énergie ou niveau de connaissance que ce soit. Elle voulait simplement comprendre les sentiments dominants qui perduraient souvent après ces rêves vivants.
Lokal avait posé un petit vêtement au centre de ses quartiers d'invité. Il demanda à Janeway de se mettre d'un côté du vêtement, lui étant assis du côté opposé. Les deux places vides étaient occupées par Tuvok et T'Pel, Lokal ayant spécialement insisté pour qu'ils soient présents, s'identifiant à leurs pouvoirs télépathiques. Il croyait qu'ils pourraient aider à la création des conditions idéales de méditation.
Au centre du vêtement, Lokal plaça un... pour être honnête, Janeway n'était pas sûre de savoir ce qu'était l'objet. C'était un oval presque parfait, ressemblant à une sorte de pierre finement polie. Elle était peinte en vert, une couleur qui correspondait presque exactement à la peau des Inryeths, avec de fines lignes partant dans une direction, donnant l'impression qu'elles couraient tout au long de la circonférence de l'objet. Accessoirement, les lignes couraient dans la direction verticale de façon à pointer vers Janeway ainsi que vers Lokal.
Au début, elle avait cru qu'il s'agissait simplement d'un symbole inanimé sur lequel Lokal psalmodiait. Cependant, un simple contact des doigts de Lokal sur l'objet avait initié le rayonnement des lignes. L'opinion que Janeway avait de cet objet changea, le jugeant plutôt similaire à l'akoonah que Chakotay utilisait pendant ses méditations.
Lokal posa la paume de sa main droite directement sur le dessus de l'objet, sa forme arrondie s'adaptait parfaitement à la forme de sa main et ses longs doigts s'étendant tout autour. Janeway se demandait si l'objet avait été fabriqué spécialement pour lui. Il lui demanda alors de placer sa propre main droite sur la sienne, ce qu'elle fit, afin de pouvoir canaliser l'énergie dégagée vers elle. Comme s'il s'agissait d'un réflexe involontaire, ses yeux se fermèrent et elle sentit son esprit commencer à s'éclaircir.
Dans son esprit devenu calme, elle entendit la voix profonde de Lokal psalmodier ce qu'elle avait lu dans le 'ku-vah-nula', ses mots invoquant la brume du rêve qu'elle sentit soudain fondre sur elle et l'emporter...
 
***  

Une guerre faisait rage devant sa maison, à la bordure de sa propriété. Sarah pouvait voir les éclairs des fusils qui tiraient en levant simplement la tête de derrière son fauteuil à bascule. L'air était chargé de l'odeur pénétrante de la bataille, un mélange de mort et de poudre. Cela lui brûlait les narines.
Ses yeux se déportèrent de la scène de bataille vers le fusil serré dans ses bras et vers le sol en bois autour d'elle, immédiatement attirés par une tâche sur le bois. Linny avait fait tout son possible, mais le sang avait coulé suffisamment longtemps pour imprégner le parquet de chêne. C'était un témoignage silencieux, un souvenir du premier sang versé dans cette bataille il y aurait une semaine demain.
La bataille avait commencé juste trois heures auparavant. Sarah le savait car Linny et sa soeur venait juste de commencer le dîner. Le soleil n'avait pas encore commencé à disparaître derrière l'horizon, et maintenant, ce n'était plus qu'une faible lueur le long de la ligne boisée de l'horizon, ses derniers rayons se mêlant aux nuages de poudres qui flottaient. La famille de Linny s'était réfugiée dans la cave à vin, gardant un oeil vigilant sur la famille de Sarah, sa grande soeur Laura et sa petite fille, sa mère Grace et son frère Adam, qui n'avait même pas encore huit ans. Désormais, seule Sarah était encore dans la maison, son sens de la loyauté envers son père lui dictant de garder le salon de sa propre vie. Assise là, ses pensées ne pouvaient s'empêcher de retourner vers Levi Sullivan. Elle se demandait s'il se trouvait dans la bataille qui faisait rage devant elle, et s'il allait bien. Et puis son esprit revint à la réalité, lui rappelant qu'il avait fait partie de ceux qui avaient tué son père, et qu'elle était supposée le détester.
Thomas et sa famille étaient partis pour Richmond la veille, après que le service funéraire pour son père fut fini. Ils avaient laissé leurs sincères condoléances et Sarah avait entendu Thomas murmurer des serments de vengeance contre l'armée de l'Union, quelque chose qu'elle avait cru interpréter comme un engagement. Même maintenant, alors que la mort menaçait au loin, Sarah souriait à l'idée du riche débutant gâté qu'était Thomas dans la bataille, un fusil dans les mains. L'idée était absurde.
Un léger gémissement venant du vestibule interrompit soudainement la rêverie de Sarah. Son arme à la main, elle se glissa de l'arrière de son fauteuil vers l'embrasure de la porte. Prenant une profonde inspiration, elle prêta à nouveau l'oreille au gémissement. C'était une plainte de douleur, ou du moins en avait-elle l'impression. Si un Yankee s'était glissé dans sa maison, elle n'avait aucun doute de pouvoir l'achever, et elle arma son fusil avec la ferme intention de s'en servir. Elle hésita cependant. Et si c'était un soldat confédéré, et qu'elle tirait ? Elle tuerait le pauvre homme sans lui donner l'aide qu'il pensait pouvoir obtenir de sa part. En fin de compte, elle décida de garder son arme prête, mais de ne pas tirer immédiatement.
Elle pointa son arme sur la forme étendue au travers du vestibule, la couleur bleue de son uniforme lui ayant déjà frappé l'oeil. Elle posa le doigt sur la détente quand il se redressa d'un coup. Elle se figea, les yeux familiers du soldat de l'Union intimant à tous les muscles de son corps de ne plus faire un mouvement.
"Levi", soupira-t-elle, son esprit oubliant à cet instant les choses qu'il avait dit quelques jours plus tôt. Il avait réussi à se redresser partiellement et elle nota la blessure sur le haut de sa jambe, le sang tâchant son uniforme et le sol en bois du vestibule. Elle se glissa au-dessus de lui, sa main venant faire pression sur la blessure. "Vous êtes sérieusement blessé."
Il leva les yeux vers elle, essayant de comprendre d'où venait sa compassion, et comment ne pas gâcher le moment à nouveau. "Ouai", répondit-il. "Je crois que la balle est ressortie."
Les doigts de Sarah déchirèrent le tissu de son uniforme déjà troué par la balle. Ses mains étaient déjà couvertes de son sang, et il était en train de tacher la chemise blanche qu'elle portait. "Il faut qu'on vous soigne cela rapidement", dit-elle, utilisant le bord de sa jupe pour éponger en partie le sang qui coulait encore. "Sinon, vous allez perdre trop de sang, ou bien la blessure va s'infecter."
Elle se mit alors en tâche de déchirer complètement la jambe de pantalon, ses mains ensanglantées tâtant le dos de sa jambe. Elle sentit plus de sang chaud sur ses doigts, et Levi tressaillit et crispa les muscles quand ses doigts touchèrent la blessure par où était ressortie la balle. Retirant ses mains, elle saisit l'ourlet de sa robe et commença à le déchirer. Elle en tira une bande suffisamment large pour enserrer la jambe.
"Vous savez aussi comment soigner les blessures ?" demanda-t-il le coeur léger. "J'aurais dû imaginer que vous n'étiez pas une fille ordinaire." Il tressaillit encore comme elle commençait à serrer la bande autour de sa jambe.
"Pourquoi n'êtes-vous pas allé à l'antenne médicale ? Vous auriez été soigné par un professionnel", demanda-t-elle pendant qu'elle soignait sa blessure. Mais elle était inconsciente si elle ne connaissait pas déjà la réponse. Son père lui parlait souvent de l'antenne, comment l'odeur de la mort surpassait même celle du champ de bataille. Une blessure comme celle de Levi se serait certainement traduite par une amputation.
Au lieu de cela, les mains de Levi prirent les siennes, étreignant ses doigts, maculant de sang ses propres doigts. "J'avais besoin de vous voir. Je devais m'assurer que vous alliez bien."
Sarah n'osait plus bouger, ses yeux passant de la jambe blessée aux yeux de Levi. Il la regardait fixement, avec une émotion si intense dans les yeux qu'elle dut détourner le regard. Le sentiment familier de maladresse revint entre eux deux et Sarah se mit à bégayer.
"Levi, ça va - "
"Je le sais, maintenant", répondit-il précipitamment avec vigueur. Puis sa voix se transforma en un faible murmure. N'eut-elle pas été si près que le son des armes à feu aurait couvert sa voix. "A la pensée que vous soyez blessée... je n'aurais pas pu vivre l'esprit en paix."
Le silence entre eux deux revint. Elle le regardait se redresser, debout devant lui pendant qu'il s'approchait plus près. Quand ses lèvres rugueuses et gercées effleurèrent les siennes, elle ne put s'empêcher de s'asseoir. Le baiser fut rapide mais vif.
"Je suis désolé", dit-il immédiatement, ses yeux se baissant sur sa blessure tandis que son visage s'empourprait d'embarras. "C'est juste que... je ne crois pas que j'ai jamais ressenti cela pour personne auparavant."
Sarah réagit promptement. "Mais vous ne me connaissez pas !" répliqua-t-elle. "Et quand est-il de cette fille dont vous m'avez parlé, à Philadelphie, celle avec qui vous êtes fiancé ? Ne l'aimez-vous pas ?"
"Bien sûr que je l'aime", dit-il, secoua la tête, "mais pas comme je vous aime." Ses doigts aggripèrent ses mains, les retenant avec force. Elle était incapable de résister, son corps figé par la surprise de ses mots. "Pouvez-vous rester assise là et me soutenir que vous ne ressentez pas la même chose ?"
Sarah ne put que baisser la tête et regarder ailleurs. Ces mots lui faisaient peur, peur de la vérité qu'ils contenaient. Elle aurait voulu lui cracher une réponse, lui crier dessus pour avoir sauté si vite à une telle conclusion, elle aurait voulu le détester, et pourtant elle n'arrivait pas à se forcer à réagir de la sorte. Elle était effrayée, plus effrayée de ses mots que de toutes les batailles qui pouvaient faire rage dehors. A l'intérieur, elle avait peur de ses émotions et de ses sentiments.
"Dites-le-moi."
Elle n'était pas sûre de savoir si elle était d'accord avec lui ou pas. Au lieu de cela, son coeur répondit pour elle. Elle s'avança à nouveau, pressant ses lèvres contre les siennes, l'embrassant. A sa surprise, et pourtant non, il l'embrassa en retour, toujours plus fort à chacun de ses mouvements, essayant désespérément de s'avancer plus contre elle. Elle savait que chaque mouvement de sa jambe envoyait une onde de douleur à travers tout son corps, mais il semblait immunisé.
Sarah fit glisser ses doigts le long de son visage, le serrant dans ses paumes et répandant le sang de ses doigts sur ses pommettes et la ligne de sa mâchoire. Ses propres doigts firent de même, eux aussi couverts de sang. Par cet acte, ils se marquèrent l'un l'autre du sang versé en ce jour.
Il cassa leur union, ses doigts saisissant bientôt les siens, sa bouche parvenant à trouver sur sa main une surface non tachée de sang pour la baiser. "Enfuyez-vous avec moi."
Une fois encore, elle fut choquée. "Quoi ?"
"Enfuyez-vous avec moi", répéta-t-il. "Je changerai mon nom, nous.... nous irons au nord, New York, nous nous marierons et resterons ensemble pour toujours."
Sarah secoua la tête. "Je ne peux pas", dit-elle, essayant de penser de manière claire, "j'ai un fiancé, Thomas York. Vous aussi. Je ne peux pas l'abandonner comme cela."
Levi, de son côté, secoua la tête et sourit légèrement. "Ca n'est pas important. Elle pensera simplement que je me suis fait tué ou quelque chose comme cela."
"Non", dit-elle, essayant de retirer ses mains, "je ne peux pas."
"Pourquoi pas ? Ne m'aimez-vous pas ?"
Elle baissa la tête. "Si", dit-elle, lui avouant finalement ainsi qu'à elle-même. "Oui. Mais je ne peux pas juste abandonner ma vie ici comme cela. J'ai des responsabilités, envers moi-même et d'autres personnes, et vous aussi."
Levi laissa retomber ses bras alors qu'elle terminait, la finalité de ses remarques s'imposant à lui. Ses doigts touchèrent le bandage autour de sa jambe meurtrie et il lia rapidement les extrémités de la bande blanche, qui était désormais plus taché de sang qu'il n'était blanc. Lentement, il se leva, avec précaution, faisant attention de ne pas porter trop de son poids sur sa jambe blessée.
Se retournant une dernière fois vers Sarah, il dit "Il faut que je parte." Alors, il boita lentement dans le vestibule, suivant le chemin laissé par son propre sang, ses pieds étalant les traces de sang en sortant.
Sarah n'essayant même pas de le suivre, se contentant de murmurer "au revoir."
 
***  

Janeway avait offert le déjeuner à Lokal dans le mess du Voyager et le Superviseur avait accepté d'un signe de tête avec un sourire. Cependant, il n'avait même pas besoin de ses pouvoirs télépathiques pour savoir qu'elle n'était pas simplement intéressée à parler réparations et autres sujets de ce genre.
Elle choisit une table près d'un coin de la pièce, isolée des yeux et des oreilles curieux des autres membres d'équipage rassemblés ici. Elle était assise depuis un moment déjà quand Lokal commença à parler.
"Il est évident que ces rêves essayent de vous faire comprendre quelque chose", commenta-t-il. "J'ai ressenti le besoin de vous l'apprendre."
Janeway étudia le Superviseur. "Mais quel est l'intérêt d'une leçon lorsque l'élève ne la comprend pas ?"
Lokal sourit. "Exact." Il marqua une pause. "J'ai l'impression que l'homme et la femme sont opposés, n'est ce pas ? Bien que parfois, ils partagent des points de vue communs."
Janeway acquiesça de la tête assez vigoureusement. "Oui, mais je ne comprends toujours pas ce que cela a à voir avec moi."
Lokal soupira, comme on le ferait devant un petit enfant. Elle grogna face à ce geste condescendant. "En comprenant le rêve, on devient capable de l'appliquer à sa propre vie. Dresser des parallèles entre les contes. Bien souvent ce genre de série de rêves est une parabole à sa propre vie."
Destinée, conclua-t-elle.
"Maintenant", dit-il, redirigeant la conversation vers le sujet principal de son analyse, "vous pourrez m'aider, Capitaine, car je ne suis pas familier avec l'époque de ce rêve." Janeway acquiesça d'un signe de tête. "Ils ne sont pas seulement opposés de personnalité, ils le sont aussi dans la bataille, n'est ce pas ?" Elle acquiesça. "Pourtant, lorsqu'il est blessé, et au lieu de le tuer comme elle devrait le faire, elle le soigne. Cela semblerait indiquer qu'elle trahit sa loyauté. J'ai le sentiment que c'est une personne extrêmement loyale, mais qu'elle semble incapable de faire du mal à une âme, malgré leur opposition dans la bataille." Il fit une pause. "Et lui, il ne désire pas faire de mal à cette âme, mais le fait quand même en supportant sa cause, qu'elle ne partage pas. Correct ?" Janeway acquiesça de nouveau. "Alors il semblerait que les deux partagent le même dégoût de la guerre."
"Il me paraît être impulsif, comme le montre sa soudaine déclaration d'amour et sa proposition de s'enfuir." Il marqua une nouvelle pause, un léger début de sourire visible sur ses lèvres. "Elle semble être fascinée par ce caractère impulsif, portant elle sent que ses responsabilités envers sa famille l'emportent quel que soit l'intérêt qu'elle lui porte. Elle le blesse en le repoussant. Il s'est senti ridiculisé par elle, en dépit du fait que ses justifications étaient, finalement, tout à fait exactes." Les yeux de Lokal trouvèrent ceux de Janeway, et il sourit. "Et bien, Capitaine, maintenant je vous le demande. Pouvez-vous faire le parallèle entre vous et cette histoire ?"
Janeway se sentait affreusement exposée, comme si Lokal venait juste de lire à livre ouvert dans son esprit et déclaré ses pensées à l'équipage du navire. Pourtant elle savait qu'il n'en était rien, que ce qu'il venait de dire était seulement interprété du rêve dont ils avaient fait l'expérience. Ou alors, il était tombé sur ces pensées et les avait subrepticement détournées pour en faire son interprétation. Janeway se réprimanda, voyant le ridicule de son accusation.
Bien sûr qu'elle voyait le parallèle. Comment sa situation face au Maquis pouvait-elle être plus semblable à celle de ses rêves ? Et d'un seul coup, une pensée lui revint en mémoire, une pensée qu'elle avait repoussée au fond de son esprit pendant des années tant elle était déplacée dans le contexte de leur situation. La parabole pouvait-elle ne pas concerner le Maquis, mais cela ? Janeway se sentit tout à coup très mal à l'aise si près de Lokal. Comment avait-il réussi à lire ses... "Non", s'entendit-elle dire, presque trop rapidement pour être crue par quiconque. Elle jeta un regard au visage de Lokal, un regard de complète incrédulité, mais il n'ouvrit pas la bouche. Il se contenta juste de sourire.
"Passerelle au Capitaine Janeway." Harry. Janeway se promit de féliciter l'enseigne pour son interruption opportune brillante.
Elle appuya sur son communicateur. "Ici Janeway", répondit-elle.
Elle pouvait presque entendre le sourire dans la voix de l'enseigne. "Capitaine, je viens juste de recevoir la confirmation de l'équipe d'exploration que les réparations et la décontamination dans la colonie étaient complètes."
Janeway sourit, regardant Lokal qui semblait... soulagé."Dites à Tuvok de me rejoindre avec le Superviseur Lokal dans la salle de téléportation numéro un."
Harry accusa réception de l'ordre et ferma le canal de communication. Ils se levèrent tous deux de leur table et se dirigèrent vers les portes du mess. J'espère que nous pourrons finir cela plus tard, pensait Janeway alors que les portes de l'ascenseur se refermaient derrière eux.
 
***  

Les trois formes se matérialisèrent directement dans la centrale énergétique de la colonie. Janeway eut du mal à croire dans tout le changement effectué. Un rapide coup d'oeil vers Lokal et elle put voir que lui non plus n'en croyait pas ses yeux. Ce qui avait été pendant un temps une pièce noircie par l'explosion était aussi impeccable que possible.
Le lieutenant responsable de l'équipe d'exploration s'avança vers eux, un large sourire au visage. "Superviseur", dit-elle, et Lokal laissa de côté son inspection de la pièce pour se concentrer sur la jeune femme. "Nous avons stabilisé l'intégrité structurelle de cette grotte et des tunnels environnants. Il ne reste que très peu de traces de radiations, absolument sans danger pour votre peuple. Vos ingénieurs m'ont assuré qu'ils seraient capables de réparer le réacteur endommagé."
Lokal secouait la tête, incrédule. "Merci", dit-il, d'une voix tremblante et, Janeway en était certaine, à court de mots. "Merci, Capitaine", dit-il à nouveau, se retourna pour lui faire face. "Je ne sais pas comment je pourrai vous rembourser pour la gentillesse que vous avez montrée envers nous."
Janeway secoua la tête à son tour et sourit. "Il n'est pas question de paiement, Superviseur."
Il soupira. "Alors laissez-moi vous offrir nos remerciements et notre amitié." Il tendit la main, Janeway s'empressa de faire de même, et les deux se serrèrent la main très chaleureusement.
La conversation s'établit rapidement entre l'équipe d'exploration et les Inryeths présents. Le Superviseur prit le temps de serrer la main de chaque personne de l'équipe, Janeway à ses côtés. Tandis qu'il terminait par la responsable, le jeune lieutenant, il se tourna vers Janeway et lui montra un recoin de la pièce pour qu'ils puissent y parler en privé.
"Capitaine", dit-il, à voix afin de ne pas attirer l'attention sur eux, "j'espère que j'ai pu vous apporter mon aide ne serait-ce qu'à hauteur de la moitié de tout ce que vous avez fait pour nous."
Elle gloussa légèrement. "Vous ne nous avez jamais donné ces cartes que vous nous aviez promises."
Lokal se contenta de la regarder fixement, les yeux emplis d'une sorte de sourire que son visage ne montrait pas dans les autres moments. "Je n'ai jamais rien promis, Capitaine."
Janeway sourit chaleureusement, tout en baissant la tête. Elle contempla le sol pendant quelques instants, puis releva la tête. "J'ai une dernière question à vous poser", dit-elle.
"Qu'elle est-elle ?"
Elle hésita un moment. "La femme... il semble qu'elle doive prendre une décision." Elle s'arrêta. "Est ce qu'elle..."
Lokal la regarda pendant un moment, et elle sut exactement ce qu'il était en train de faire. Cependant, cette fois ci, elle ne chercha pas à résister comme les autres fois où elle avait pris ce geste pour une violation de sa vie privée. Cette fois, elle désirait une réponse honnête.
Il sourit. "Tout dépend uniquement de vous, Capitaine."
 
***  

Elle se retrouva à nouveau dans une pièce plongée dans les ténèbres et le silence, et une fois de plus cela ne la dérangeait pas. Au lieu de cela, elle alla s'affaler sur son lit sous les étoiles, son corps douloureux de fatigue.
'Cela dépend uniquement de vous.' La réponse lui avait tout d'abord paru énigmatique, mais les mots de Lokal avaient rapidement fait leur chemin dans son esprit et elle avait fini par comprendre leur sens. Ce n'était que maintenant qu'elle comprenait l'ensemble de ce qu'elle avait appris, que ces rêves étaient plus qu'une simple imagination hyperactive. Maintenant seulement acceptait-elle que, par un étrange sort cosmique, c'était sa propre vie qui lui apparaissait pendant son sommeil. Obtenir les réponses impliquait désormais d'accepter la nature de ses rêves.
Pendant des années, la situation était restée en suspens, en dépit de ce qu'elle avait pu se persuader. Rien n'avait jamais été dit sur tout cela, les choses avaient simplement été ignorées et oubliées en silence. Elle enviait ce besoin de résolution tant pour elle que pour la jeune femme de ses rêves.
Janeway bailla malgré elle, et elle sut que le temps était désormais venu. Elle avait l'opportunité de laisser les choses échapper à son contrôle, de laisser le temps suivre sa course.
Ses yeux se fermèrent doucement, et elle accepta...
 
***  

Regardant au loin sur l'horizon, Sarah était certaine de pouvoir distinguer les fantômes de la bataille à laquelle elle avait assistée, les regardant se battre, tomber, se battre à nouveau et tomber encore. Cette terre, elle le savait, ne serait plus jamais la même, pas plus qu'elle. La seule pensée de sa terre lui rappela la bataille de l'année passée.
Le Général Lee s'était rendu au Général Grant deux semaines auparavant. La guerre était, dans tous les sens du terme, officiellement terminée. Elle avait prélevé son tribut sur le Sud, sur les gens et sur la terre, dans les esprits de ceux qui avait combattu ici, sur ceux qui avaient perdu un membre de leur famille ou un ami. Elle avait aussi prélevé son tribut sur Sarah.
La plantation avait en grande partie survécu à la guerre. La Proclamation d'Emancipation du Président Lincoln avait provoqué le départ de Linny et de sa famille et Sarah avait été triste de les voir partir, les regardant qui s'embarquaient en voiture vers leur nouvelle maison à New York. Ils avaient été plus que ce que certains appelaient, plus que des "esclaves" pour Sarah. Ils étaient sa famille.
Thomas n'était plus là. Sa propre vengeance mal avisée s'était retournée contre lui. Le garçon n'était pas taillé pour la guerre et n'avait pas duré plus de deux mois avant d'être tué dans la bataille. Bien sûr, Sarah avait porté le deuil, mais une part d'elle-même s'en fichait complètement. Il avait été hautain, arrogant et par quelque étrange revers de justice n'avait eu que ce qu'il méritait.
Il y avait une forme sur l'horizon. Sa grande silhouette efflanquée se découpait sur l'arrière plan du soleil d'après-midi. Sarah, assise paresseusement sur un banc tout au fond de la propriété, se redressa quand la silhouette non encore identifiable se dirigea vers elle. Et puis il fut plus près, la couleur brune de ses cheveux réfléchissant les rayons épars de soleil dans toutes les directions, et ses yeux... des yeux qu'elle pourrait reconnaître entre mille...
"Levi Sullivan", prononça-t-elle, en se levant.
Il s'arrêta devant elle, fronçant les yeux face au soleil derrière elle. "Sarah Biddle", répondit-il. "Ou bien est-ce Sarah York désormais ?"
Elle inclina la tête. "Non, non." Elle savait qu'il avait remarqué son hésitation et elle releva la tête vers lui, le regardant attentivement dans les yeux et jouant nerveusement avec ses doigts, tant elle était agitée par l'anxiété. "Thomas s'est fait tué."
Levi saisit soudainement les mains de Sarah dans les siennes, lui faisant cesser tout mouvement. Il les amena à ses lèvres, embrassant l'extrémité de ses doigts avec précaution, s'assurant de bien éviter le diamant qu'elle portait encore.
"Vous êtes seule, comme je le suis." Sa remarque lui valut un regard d'interrogation, et il continua. " 'Vous souvenez de cette fille dont je vous avais parlé, celle là haut à Philadelphie ?" Elle hocha la tête. "Et bien, il semble que quand la guerre s'est accélérée et que l'écriture de lettres n'était plus trop une priorité, elle a cru que j'étais mort et elle s'est mariée avec Benjamin Hanover, le gars du bout de la rue."
"Je suis désolé", offrit Sarah. "Je crois que vous aviez raison sur nous."
"Ouai", dit Levi, mais ce qu'il ne disait pas en disait plus long que tout ce qu'il aurait pu ajouter. Elle savait exactement pourquoi il était là, et pourtant, elle n'était pas sûre. Il ne l'avait jamais frappé pour son comportement prédictible, mais après tout elle non plus, pour ce genre de chose.
Elle l'attira vers lui, le guidant vers le banc qu'elle avait occupé. Comme ils s'asseyaient, les mots sortirent de sa bouche avant qu'elle n'ait eu le temps de lever ses défenses habituelles. "J'ai repensé à ce que vous m'aviez dit." Ce qu'elle disait, observa-t-elle, n'évoquait rien en lui. "En ce qui concerne New York."
Elle vit alors deux choses apparaître dans les yeux de Levi. Tout d'abord le rayonnement quand le souvenir de ses mots lui revint en tête, cet instant de témérité quand il lui avait laissé son coeur parler librement. Puis rapidement après ce souvenir, Sarah vit l'espoir danser dans ses yeux, et elle ne put retenir le sourire qui venait à ses lèvres.
C'était cet espoir qu'elle avait nourri en elle depuis qu'il s'était éloigné par sa porte en boitant ce triste jour au crépuscule. Les regrets l'avaient toujours poursuivi, après que la bataille eut cessé et les armées furent reparties dans les directions respectives. Alors, elle s'était estimée heureuse de ce qu'elle avait, Thomas. Mais il était parti à son tour, et elle n'avait plus eu que ses souvenirs et de la pitié pour elle-même.
Et le voilà, se tenant devant elle, l'origine de toutes ses émotions. Dieu avait eu pitié d'elle et de la folie de sa décision, et lui avait donné une seconde chance, le ramenant droit à elle. Comment pouvait-elle gâcher cette chance, connaissant l'avenir qu'elle aurait probablement si elle le faisait ?
"Si cela vous va toujours", reprit-elle, hésitant légèrement, "je me demandais s'il n'était pas trop tard pour reconsidérer la question."
Le visage de Levi se fendit d'un large sourire pratiquement jusqu'à ses beaux yeux verts, un soupir de soulagement s'échappant de sa bouche. En un instant, elle se retrouva embrassée, ses lèvres sur sa peau douce juste au-dessous de l'oreille, de pressants baisers fougueux descendant sur sa joue, finalement s'attardant sur ses lèvres.
Il se recula, ses mains entourant son visage comme s'il était fait de porcelaine. "A une seule condition." Le visage de Sarah s'assombrit d'inquiétude, mais il souriait simplement. "Promettez-moi que votre première priorité sera envers moi."
Son inquiétude se changea en soulagement, ses yeux larmoyant et le sourire aux lèvres. "Je vous le promets", murmura-t-elle. Alors il rit, l'embrassant de plus belle.
Ensemble, serrés l'un contre l'autre sur le banc et les mains mêlées, ils regardèrent la lente descente du soleil de l'après-midi jusqu'à la nuit. Ensemble, ils regardèrent le futur, leur futur...
La fin de ce rêve ne réveilla pas Janeway en sursaut, le cerveau traitant avec frénésie ces informations. Au lieu de cela, elle se sentait calme, résolue, incapable de retenir le petit sourire qui se formait sur ses propres lèvres.
Peut-être, pensait-elle, était-ce un signe, un signe de sa propre difficile résolution.
"Passerelle à Janeway."
Cette voix, qui faisait écho dans la pièce, ignorait avec quelle ironie elle avait surgi au moment si propice.
 
Peut-être.
 
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Ecrit par: Tahlia Hein
version française: Laurent DENIS
Producteurs: Thinkey, Anne Rose et Coral

Remerciements aux différents correcteurs: Cimorene, Caffey (version originale), zeke, andré (v. française).

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