Star Trek Voyager
La saison 8 virtuelle
8.20 Une porte se referme
Dernière mise à jour :20 mai 2002
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8.20 UNE PORTE SE REFERME
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.. Episode 8.20 - UNE PORTE SE REFERME
Par: LadyChakotay (ladychakotay@yahoo.com)
Version française: Marie-Laure et Christophe (dassec@club-internet.fr)

Note: Star Trek: Voyager, personnages et autres produits dérivés sont des marques déposées de Paramount Pictures. Aucune infraction aux droits d'auteurs de Paramount voulue. La Saison 8 virtuelle de Voyager (Voyager Virtual Season 8, VS8) est une entreprise à but non lucrative. L'histoire est propriété de son auteur. Pas de reproduction sans sa permission.

"Juste quand Janeway pensait que tout était finalement terminé, l'inimaginable se produit."
 
Le Capitaine Catherine Janeway, autrefois de l'USS Voyager, soupira fortement en remettant en ordre la pile sans cesse grossissante de tablettes numériques éparpillées sur son bureau. Elle secoua légèrement la tête à cette pensée. Son bureau ? Il n'y a pas si longtemps, elle naviguait à travers des étoiles inconnues, entourée de son équipage, sa famille, cartographiant des régions de l'espace qu'aucun oeil humain n'avait jamais vu auparavant. Et maintenant, elle en était réduite à remplir des papiers derrière un bureau tout en attendant son visiteur prévu, que la sonnerie de la porte allait annoncer.
Elle tenta de repousser tout au fond de son esprit les images mentales de son vaisseau et de son équipage et se concentra sur ses tâches en cours. L'Amiral Paris lui avait envoyé un message plutôt inhabituel ce matin, l'informant qu'il voulait la rencontrer d'ici une heure. Le plus étrange était qu'il venait à son bureau à elle, plutôt que de la convoquer dans le sien beaucoup plus impressionnant et grandiose.
Le bureau de l'Amiral Owen Paris avait été étudié et décoré, à ce que croyait Janeway, pour projeter une atmosphère de moralité irréprochable, de discipline rigide et d'accomplissements prestigieux de carrière. C'était l'intimidation par excellence pour un jeune cadet ou un jeune diplômé de l'Académie, autant qu'elle s'en souvienne.
L'Amiral était tout à fait au courant de l'effet que son bureau majestueux produisait sur les autres, et il l'utilisait régulièrement comme un avantage. Par conséquent, le fait qu'il ait demandé cette rencontre dans le modeste bureau de Janeway était pour le moins étrange. Elle supposa que le lieu de la réunion avait été choisi pour faire penser à une visite de courtoisie, mais le ton dans la voix d'Owen, sans parler de la façon rigide qu'il avait de tenir ses épaules, signifiait autre chose. Non, elle était tout à fait certaine qu'il ne s'agissait pas d'une visite de courtoisie.
Elle espérait simplement qu'il ne s'agissait pas de mauvaises nouvelles. Ils en avaient déjà eu bien assez.
Avant qu'elle ait eu le temps d'y réfléchir d'avantage, la sonnerie de la porte retentit. Elle jeta un coup d'oeil rapide vers l'horloge de son terminal. 08h00 pile. L'Amiral Paris était extrêmement ponctuel, comme d'habitude. Cela la fit sourire. Au moins, certaines choses ne changeaient pas. "Entrez".
L'Amiral Paris était un homme grand, du moins l'était-il comparé à elle, petite Capitaine qui se tenait derrière son bureau. Il la salua avec un sourire rassurant et tendit sa main. "Capitaine Janeway, comment allez-vous ce matin ?"
Elle prit la main qu'il lui tendait entre les siennes et la serra fermement. "Je vais bien, Monsieur, merci. Et vous-même ?".
"Bien, très bien."
Janeway désigna la chaise à côté de lui. "Je vous en prie, asseyez-vous."
L'amiral abaissa son corps usé dans la chaise plus qu'inconfortable et regarda Janeway se diriger vers le réplicateur et commander une tasse de café noir. Elle lui demanda par un geste de la main s'il souhaitait quelque chose. "Café pour moi également, s'il vous plaît. Mais avec de la crème et du sucre. Je n'ai pas l'intestin aussi solide que le vôtre, Capitaine".
Elle gloussa doucement. "Mon intestin n'a rien à voir avec ça. C'est purement une dépendance émotionnelle, je vous assure. Le café est mon seul vice, mais je sais qu'il s'agit davantage d'un problème psychologique que d'un besoin physique". Elle tendit sa tasse à l'Amiral et regagna son siège derrière le bureau. Elle but à petites gorgées le liquide fumant, ses yeux bleus cherchant la tête de Paris au-dessus du cercle de la tasse. "C'est pourquoi j'étais si déterminée à ramener mon vaisseau et mon équipage à la maison, vous savez ? Il n'y a pas un seul bon café dans tout le quadrant Delta."
Paris gloussa amicalement, mais ses yeux n'exprimèrent pas de véritable satisfaction. Il tenta de faire la conversation. "Comment se passe votre installation, maintenant que toutes ces épreuves sont enfin terminées ?"
"Bien", répondit-elle. "C'est un changement important... Pour nous tous. Nous avons simplement besoin de temps pour nous adapter, c'est tout."
Son esprit erra brièvement vers les innombrables autres fois où son équipage et elle avaient été contraints de s'adapter. D'un scénario à un autre, projetés dans le Quadrant Delta, confrontés maintes et maintes fois à des adversités insurmontables pour survivre, des ennemis constitués d'éléments dont sont faits les cauchemars... Et leur retour triomphant dans le Quadrant Alpha, surgissant du ventre d'une sphère Borg, prenant tout Starfleet par surprise. Uniquement pour être arrachés violemment de ce qui aurait du être leur retour à la maison et projetés dans les profondeurs de l'enfer, où le temps et l'espace étaient différents de ceux qu'ils connaissaient, et où ils avaient été à nouveau obligés de s'adapter.
Elle tenta de ne pas avoir un ton amer. "S'il y a bien un domaine dans duquel les gens de Voyager se distinguent, c'est bien celui de l'adaptation aux nouvelles circonstances."
"Comme vous l'avez prouvé à plusieurs reprises", concéda-t-il.
Janeway dévisagea soigneusement son vieil ami et mentor. Il était évident que quelque chose pesait lourd sur son esprit, quelque chose de pénible, comme ses poings légèrement contractés tendaient à l'indiquer. Décidée à aller droit au but, elle posa sa tasse de café et croisa les bras sur son bureau. "Pourquoi ais-je le sentiment que vous allez m'annoncer quelque chose de terrible, Amiral ?"
Bien qu'émoussé, Owen Paris lui lança un regard plutôt reconnaissant d'être allée droit au but, tant l'Amiral formidable et chevronné était incertain lui-même de la façon de procéder. "Vous avez toujours été astucieuse, Capitaine Janeway. Même en tant que cadet, je n'avais rien à vous reprocher."
Elle grimaça d'un air narquois. "J'ai eu un très bon professeur. Vous m'avez appris à prêter attention aux détails et au langage corporel. Actuellement, les vôtres sont sacrément prêts à crier : Ne tirez pas sur le messager."
"Ce n'est pas tellement dramatique, mais..." Ses yeux bleus rencontrèrent les siens et il se racla la gorge. "J'ai bien peur d'apporter... des nouvelles désagréables."
Désagréable. C'était un mot que Janeway haïssait, détestait même. C'était un de ces mots que les gens d'autorité utilisaient pour adoucir et pour minimiser ce qui était toujours presque plus affligeant que purement désagréable. C'était un euphémisme qu'elle utilisait elle-même par le passé. Et maintenant elle devait y faire face.
Elle s'arma de courage face à ce qui allait lui être divulgué de si désagréable et, calmement, contrôlant sa voix, elle dit : "Je vois."
L'amiral Paris posa sa tasse de café sur son bureau et ajusta soigneusement son uniforme. "Le Commandement de Starfleet est parvenu à une décision concernant le destin de Voyager."
Instantanément, un million de scénarios différents se bousculèrent dans l'esprit de Janeway. Elle envisagea immédiatement toutes les possibilités, allant de la restructuration et rééquipement complet jusqu'au musée du Presidio dont l'amiral Janeway avait parlé. Il lui fallut un quart de seconde pour remettre en ordre ses pensées et recouvrer son calme professionnel. "Je vous écoute."
"Je sais ce que représente ce vaisseau pour vous, Catherine."
Oh oh, il utilisait son prénom. Dans tous les cas, elle savait qu'il n'était pas possible que ce soit bon signe. Elle tenta, au prix d'un effort surhumain, de calmer son coeur qui accélérait rapidement et qui battait à tout rompre dans son oreille, même si d'apparence elle semblait très calme. "Cela représente beaucoup pour nous tous Owen. Il a été notre maison pendant presque une décennie."
"Je le sais, et cela vous a bien rendu service." Il croisa son regard posé, malgré ses propres battements de coeur. "Bon, il n'y a pas trente six façons de le dire, alors je vais simplement être franc."
"Cela ne tient qu'à vous."
"Le Voyager va être mis hors service."
De tous les scénarios envisagés par son esprit, celui-ci n'en faisait pas partie. Elle ressentit les mots de l'Amiral comme un vrai coup dans la poitrine qui lui vidait les poumons. Sa voix, d'habitude riche et résonnante, sortit comme un chuchotement. "Quoi ?"
"Je sais que c'est un choc pour vous, c'en a été aussi un pour moi. Mais la décision a été prise. Le Voyager sera retiré du service, et il n'y a rien que vous ou qui que ce soit d'autre ne puissiez faire contre cela. Je suis désolé, Catherine, vraiment désolé."
A ce moment, Catherine Janeway se sentit plus seule qu'elle ne l'avait jamais été durant toute sa vie. Après tout ce qu'ils avaient traversé, tout ce qu'ils avaient sacrifié, leur retour triomphant sur Terre pour toujours souillé par une chasse aux sorcières, des procès, puis la séparation de son personnel. Maintenant que ces problèmes étaient finalement derrière elle, Starfleet avait trouvé une autre façon de lui rappeler exactement qui commandait ici.
Elle était trop assommée pour ressentir de la colère ou de l'indignation, pour le moment, et elle se rendit compte que la seule émotion qu'elle pouvait identifier était un très fort sentiment de nostalgie envers la seule personne qui aimait autant qu'elle ce vaisseau. Elle devait parler à Chakotay. Plus que jamais, elle avait besoin de sa force tranquille à ses côtés. Elle savait qu'elle devait le contacter avant que le désarmement de Voyager n'ait lieu.
Elle se força à prendre une expression de résignation contrôlée, même si ce qu'elle ressentait à ce moment-là n'y ressemblait en aucun cas et prononça la seule parole dont elle était capable. "Quand ?"
L'Amiral Paris semblait réellement plein de remords quand il asséna le coup final. "Avant la fin du mois."
 
***
 
Le Professeur Cheney semblait avoir inconsciemment l'habitude de faire les cents pas devant ses élèves pendant qu'il donnait son cours. Peut-être le mouvement accélérait-il le flot de sang dans son cerveau. Ou peut-être était-il du genre nerveux, incapable de rester immobile pendant un temps considérable. Chose curieuse, le fait de faire les cents pas n'atténuait en rien son message.
Sa voix, profonde et grave, était projetée à travers la classe, organisée tel un stade, sans l'aide d'un micro. "Un des devoirs les plus basiques d'un officier de Starfleet n'est pas seulement de respecter et d'honorer les croyances éthiques des autres cultures, mais d'essayer de les comprendre. Cela ne signifie pas toujours que vous devez les croire personnellement. Cela ne signifie pas non plus que vous devez toujours agir en fonction d'elles."
"Vous remarquerez que ce qu'une culture tient comme standards moraux et éthiques sera considéré par une autre comme ignoble et même contre-nature. Il y aura peut-être des moments où la Première Directive vous interdira de reconnaître les bases éthiques d'une culture extraterrestre. Mais cela ne vous dispense pas de votre première obligation, qui consiste à dénicher et explorer de nouveaux mondes inconnus et de nouvelles civilisations."
"Alors, Cadets, votre première tâche et la plus importante en tant qu'officiers de Starfleet est de ne jamais cesser d'apprendre et de comprendre les différences et les similarités entre les autres espèces et la nôtre. Ceci étant dit, commençons notre leçon d'aujourd'hui avec ..."
Icheb écoutait attentivement parler son professeur. De manière bien surprenante, ce cours d'éthique inter-espèces était rapidement devenu son cours préféré. En effet, cela comblait le manque de précision technique et d'étude scientifique, offertes par le reste du cursus ici à l'Académie de Starfleet. Mais cela offrait quelque chose qu'Icheb trouvait presque aussi stimulant intellectuellement que de découvrir sur combien de décimales il pouvait calculer Pi, une chose remarquable en elle-même, sans aucun doute.
Le cours offrait des pauses durant lesquelles les discussions ouvertes et les débats n'étaient pas seulement acceptés mais encouragés. Le sujet d'éthique inter-espèces était en lui-même lourd de controverses et il n'était pas difficile de soulever un point de vue provocateur pendant le déroulement des discussions. Après tout, l'éthique a bien été la base de nombreux débats depuis le début des temps civilisés sur terre. Maintenant, au vingt-quatrième siècle, alors que la Fédération Unie des planètes comprenait d'innombrables cultures de centaines de mondes différents, tout était possible et les sujets de discussions inépuisables.
Icheb trouvait que l'opinion de ses camarades Cadets était extrêmement perspicace, tout comme la nature de leurs personnalités et leur façon de penser. Il était surpris de voir que dans une classe de moins de 50 personnes, il y avait des points de vue allant d'un esprit extrêmement ouvert à un autre rempli de préjugés. C'était fascinant.
Assise à la droite d'Icheb se trouvait une jeune Vulcain nommée T'Kara. Il l'avait déjà remarquée plus d'une fois depuis son arrivée au campus. Elle empruntait souvent le même chemin que lui pour se rendre à la bibliothèque de l'Académie. Il remarqua immédiatement qu'elle était très attirante, agréable à regarder.
Contrairement à la plupart des gens de son peuple, elle n'avait pas adopté cette coupe de cheveux sévère, commune à tous les Vulcains. Elle portait ses cheveux noirs en une longue tresse qui tombaient en cascade le long de son dos, s'arrêtant juste en dessous de sa taille. Ses yeux sévères étaient d'un beau vert attirant, s'accordant au teint olive de sa peau impeccable. Même ses délicates oreilles en pointe semblaient colorées à la perfection.
Elle dégageait un air de noblesse royale, celui qui vient de la logique et de la connaissance, et non pas de l'arrogance. Et Icheb trouvait cela fascinant, comme le sujet traité aujourd'hui en classe. Ses yeux vagabonds semblaient savoir ce qu'ils voulaient et voletaient continuellement vers T'Kara.
Malheureusement pour Icheb, il n'avait pas remarqué que son attention s'était égarée jusqu'à ce qu'il réalise qu'il y avait un silence gêné dans la pièce. Il leva les yeux pour voir tous les regards portés sur lui. A sa grande consternation, l'ancien Borg sentit ses joues rougir légèrement sous une telle surveillance. C'était une curieuse sensation, dont on pouvait très bien se passer.
"Cadet Icheb ?" interrogea le Professeur Cheney.
"Oui, Monsieur ?"
"Voudriez-vous répéter la question ?" Le vieil homme sourit patiemment au jeune Brunali. "Apparemment, vous ne m'avez pas entendu la première fois."
De nouveau la sensation sur ses joues. "Je m'excuse, Professeur. Mon esprit était... ailleurs. Pourriez-vous reposer votre question ?"
"Certainement", dit-il cordialement. S'il avait été offensé par l'inattention d'Icheb, il ne le montra pas. "Nous étions en train de discuter des définitions variables de l'éthique et des différentes significations auprès des différentes cultures. Presque toutes les cultures ont un certain code d'éthique, même si elles ne sont pas ce que l'on considère normalement... comme morales. Je citais comme exemple le collectif Borg. Quand la plupart d'entre nous trouve l'idée d'un esprit unique, avec le seul et unique but d'assimilation décourageant, pour le moins qu'on puisse dire, cela ne signifie pas que le collectif soit sans directives éthiques. Ma question pour vous était la suivante : pouvez-vous nous éclairer, Cadet, sur les convictions éthiques des Borg ?"
Icheb sentit que la couleur, qui lui avait précédemment envahi ses joues, quittait son visage. Il savait que le professeur n'avait pas posé cette question avec l'intention de nuire. Bien au contraire. C'était, sans aucun doute, sa façon d'ouvrir une brèche pour permettre à Icheb de partager sa considérable connaissance des Borgs avec ses camarades de classe et futurs compagnons d'armes.
Cette connaissance devrait être bénéfique pour tout le monde à un niveau pédagogique et, comme il était le seul ancien drone dans la pièce, il paraissait évident que le professeur lui demande son avis. C'était parfaitement logique... Mais cela ne le mettait pas à l'aise, mais alors pas du tout.
"Bien sûr, Monsieur." Icheb fit un travail remarquable pour dompter la nervosité de sa voix, même s'il sentit une réapparition de ce que le Docteur avait autrefois appelé 'des papillons dans l'estomac'. Il se leva et se prépara à répondre de son mieux à la question.
Mais avant qu'il ait eu la possibilité de parler, il entendit le commentaire non sollicité d'un Cadet assis deux rangs derrière lui. "Cela promet d'être fort. Une leçon de morale d'un drone", râla-t-il à son ami sur le siège d'à côté. "L'éthique Borg, quel oxymoron !"
Icheb sentit l'indignation monter en lui alors que beaucoup d'autres élèves riaient, s'amusant de sa gêne.
Il y a plus de deux ans, il avait été libéré du Collectif par le Capitaine Catherine Janeway, et intégré à l'équipage du Voyager. Sur ce vaisseau, il avait été traité de manière honnête et avec compassion. Son caractère unique était apprécié et non pas méprisé. Et ses idées étaient incontestablement écoutées, sans moqueries derrière son dos. Il n'était pas habitué à une telle discrimination.
Il avait remarqué que les personnes sur Terre qui les regardaient, Seven et lui, le faisaient avec une expression qui se rapprochait de la haine. Mais il n'y prêtait pas attention. Seven lui avait dit que les gens avaient souvent peur de ce qu'ils ne comprenaient pas. Et que leurs peurs les obligeaient fréquemment à réagir avec haine. Il avait fini par comprendre qu'il s'agissait uniquement d'un manque de connaissances.
Mais ici, à l'Académie de Starfleet, la fondation d'une société qui était pourtant censée être basée sur la tolérance et qui revendiquait adopter la vie, toutes les vies, une telle haine était incompréhensible.
Icheb avait toujours vu Starfleet comme un creuset galactique géant, où tous étaient les bienvenus, et il croyait la philosophie de Starfleet hermétique à une haine raciale mesquine. Son coeur se serra lourdement dans sa poitrine en se retrouvant face à cette malheureuse réalité d'une haine sans limites. Même à l'Académie de Starfleet. La tristesse inonda ses yeux sombres comme si à nouveau une partie de son innocence lui était arrachée. Et une fois de plus, depuis qu'il avait posé les pieds sur Terre, il n'était pas certain de la manière avec laquelle il devait gérer la situation.
 
***
 
"Etes-vous sûr qu'il n'a pas dit où il allait ? Pas même une idée ?" Janeway se tenait devant son écran vidéo, les mains sur les hanches, tandis qu'elle 'cuisinait' son ancien chef ingénieur.
"Je suis désolée, Capitaine", dit B'Elanna. "J'aimerais vous dire où il est, mais honnêtement je n'en ai aucune idée."
"Mais vous êtes très amis, tous les deux."
B'Elanna Torres ria franchement. "Cela ne veut pas dire qu'il m'avertisse systématiquement quand il a l'intention de quitter son appartement. J'aimerais beaucoup vous aider Capitaine. Mais à ce stade, vos suppositions sont aussi bonnes que les miennes. Il peut se trouver n'importe où."
Janeway passa la main à travers sa chevelure auburn en signe de frustration. Elle avait contacté toutes les personnes à qui elle avait pensé, mais en vain. C'était comme si Chakotay s'était volatilisé. Où diable était-il ? Elle eut un sourire fatigué envers B'Elanna. "Merci tout de même, je vous verrai à la réunion."
"En parlant de la réunion", dit B'Elanna en souriant faussement. "Vous ne voudriez pas me donner un indice de ce dont il s'agit ?"
Janeway secoua la tête. "Non, je ne peux pas, ce n'est pas un sujet sur lequel je souhaite m'entretenir par l'intermédiaire d'un écran."
Cela attisa la curiosité de la demie-Klingonne. "Important à ce point, hein ?"
Janeway rassembla toute sa rigueur professionnelle afin de ne pas laisser transparaître sur son visage la tristesse contenue dans son coeur. Ce n'était pas le moment. "C'est une façon de le dire. Je préférerais vraiment le faire en personne, B'Elanna. Faites-moi confiance, d'accord ?"
"Bien sûr."
"Merci, à bientôt."
Avant que Janeway puisse terminer la transmission, B'Elanna ajouta, "euh, Capitaine ? A propos de Chakotay ?"
"Oui ?"
"Vous devriez contacter sa soeur", dit-elle. "Il se peut qu'elle sache où il se trouve. Ils n'ont pas toujours été très proches. Mais je pense qu'il est resté en contact avec elle depuis notre retour."
"Je n'avais même pas pensé à ça", dit Janeway. Chakotay n'avait jamais parlé de sa soeur. En fait, aussi bons amis qu'ils étaient, Janeway n'avait pas connaissance de son existence, jusqu'à il y a un an, ce qui était donc facile à oublier."
"Bon, de toute façon, ça vaut la peine d'essayer."
"Oui, tout à fait, merci B'Elenna." Elle termina la transmission, regardant l'agréable visage de Torres s'estomper sur l'écran. Elle n'avait jamais parlé à la soeur de Chakotay avant cela, c'était le moment idéal pour le faire.
Il ne lui fallut pas longtemps pour retrouver la trace de la soeur de Chakotay. Etre un officier de haut rang de Starfleet avait ses avantages, après tout. Et ses inconvénients aussi, pensa-t-elle narquoisement.
Elle se sentit un peu gênée de contacter cette femme, comme si elle s'immisçait en quelque sorte dans la vie privée de Chakotay. Mais elle devait le trouver. Il était nécessaire qu'il soit informé de ce qui allait arriver à Voyager. Et... elle avait besoin de lui pour l'aider à gérer cela. Ce n'était pas vraiment un problème émotionnel. Après tout, c'était elle le Capitaine et lui le Premier Officier. C'était une question de devoir. C'était aussi simple que cela.
"Admets-le, Catherine. Il te manque énormément", marmonna-t-elle tout en programmant la fréquence de communication. Les mots étaient à peine sortis de sa bouche lorsque l'image de la femme fit son apparition sur l'écran.
"Bonjour ?" Sa voix était riche et mélodieuse, douce et mielleuse. Elle avait le même teint de peau que son frère et ses longs cheveux noirs parsemaient son dos de boucles à peine contenues. Elle regarda Janeway avec des yeux marron sombre qui semblaient contenir la sagesse de centaines de vies entières, le même regard qu'avait Chakotay. Elle était véritablement la représentation féminine de l'homme que Catherine connaissait si bien. "Puis-je vous aider ?"
"Bonjour, Atraya. Mon nom est Catherine Janeway. Je suis..."
"Capitaine Janeway", dit Atraya. "Vous étiez l'Officier de Commandement de mon frère, n'est-ce pas ?"
"Oui", grimaça t-elle intérieurement. Vous ETIEZ l'Officier de Commandement de mon frère. C'était dur de se rendre à cette évidence que tout avait changé et que ces personnes ne faisaient plus partie de son équipage. "J'étais son capitaine... sur le Voyager."
"C'est un plaisir de vous rencontrer, Capitaine." Elle lui retourna le sourire. "Il dit beaucoup de bien de vous."
J'aimerais pouvoir en dire autant, pensa-t-elle, puis tout haut, "Cela fait plaisir à entendre, et tout le plaisir est pour moi." Ses yeux bleus scrutaient le visage d'Atraya. "Vous ressemblez tellement à Chakotay."
Atraya ria, une sonorité bien agréable. "Physiquement, peut-être. Mais cela s'arrête là. Psychologiquement et émotionnellement, on ne peut pas être plus différents. Puis elle offrit rapidement à Janeway un sourire familier qui faisait apparaître ses fossettes. "Toutefois, je ne pense pas que vous appelez pour m'entendre comparer le psychique de Chakotay au mien. Que puis-je faire pour vous, Capitaine ?"
Janeway croisa ses bras sur sa poitrine et se pencha en arrière sur sa chaise. "Je cherche votre frère, en fait. Il semblerait qu'il ait disparu, et j'espérais que vous pourriez me dire où le trouver."
"Je crois qu'il s'est isolé."
Janeway sentit son estomac tomber non loin de ses chevilles. Que se passerait-il s'il ne rentrait pas à temps ? "Isolé ? Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?"
"Il a emprunté ma navette personnelle il y a quelques jours", dit-elle. "Il a dit avoir à régler quelques derniers détails, quoi que cela veuille dire."
"Savez-vous où il est allé ?"
Atraya secoua sa tête sombre. "Non, il n'a donné aucun détail, et je sais qu'il ne valait mieux pas lui demander. Ma seule requête était qu'il me ramène ma navette en un seul morceau. J'ignore si vous le savez, Capitaine, mais mon frère a une étrange tendance à détruire les petits vaisseaux spatiaux."
Janeway fronça un sourcil et gloussa. "Oui, j'avais remarqué."
"J'ai bien peur d'ignorer où il a pu aller. Mais je suis en mesure de vous donner sa fréquence de communication. Vous pouvez lui envoyer un message." Elle sourit chaleureusement. "Cela n'équivaut pas à vous faire retrouver mon frère, mais c'est mieux que rien."
Janeway lui retourna le sourire, se prenant d'affection pour cette femme qui lui rappelait tant Chakotay. "Ce serait merveilleux, Atraya. Je vous en suis très reconnaissante."
Elle marmonna et agita sa main de façon désinvolte. "Mais non. Faites-moi juste une faveur."
Janeway hocha la tête. "Dites-lui que je lui ai demandé qu'il me ramène ma navette, et mon frère, en un seul morceau. Je ne suis peut-être pas un Capitaine de Starfleet, mais je sais tout de même encore comment donner des ordres."
D'un rire accompagné d'un salut moqueur, Janeway dit, "Oui, chef. Je lui remettrai votre message."
Espérons qu'il l'aura à temps.
 
***
 
La petite navette atterrit avec un bruit sourd, soulevant un tourbillon de poussière dans son sillage. La porte émit un sifflement en s'ouvrant, libérant l'atmosphère de la navette pour se mélanger aux gaz de celle de la planète. 21% d'oxygène, 70% d'azote, le reste présentant, pour l'essentiel, des traces de gaz rares, exactement comme sur Terre. Sauf que la Terre grouillait de vies et que ce monde était mort.
Chakotay sortit de la navette, ses yeux noirs parcourant lentement le terrain. Trebus. Cela ne ressemblait en rien à ce qu'il avait connu étant jeune. Il avait choisi un terrain d'atterrissage aux alentours de l'endroit où se tenait auparavant le village de son peuple. Bien sûr, c'était avant que Starfleet ne les trahisse, avant que les Cardassiens ne viennent. Le petit village tranquille n'était plus là. Rien sur Trebus n'était resté debout. Ils s'en étaient assurés.
Il se déplaçait doucement à travers le terrain, scannant l'horizon en marchant. Là où il y avait auparavant des champs d'herbes sauvages et de fleurs s'étalaient maintenant des océans infinis de poussières sèches. Les cieux, autrefois remplis de cris d'oiseaux de proie, étaient devenus silencieux et couverts. La terre qui était si sacrée et sainte pour son peuple avait été profanée et souillée.
A cet endroit précis, la vie était née, des familles créées, des chansons chantées et des histoires contées. Et pendant un moment, Chakotay pensa qu'il pouvait les entendre. Ici, au plus profond de sa mémoire, faibles mais toujours existants, les chants des enfants de la tribu étaient présents. Ils chantaient la paix et la compassion, les esprits du ciel et les bienfaits de la terre.
L'ancien Commandeur de vaisseau ferma les yeux pour tenter de capturer ce moment dans son esprit, de distinguer les chants. Mais au moment où il y parvint, les chants se transformèrent en autre chose.
Les paroles spirituelles avaient fui, laissant place à d'horribles hurlements. C'était son peuple, criant pendant le massacre. Des enfants pleurant en étant arrachés des bras de leurs mères décédées ou mourantes. Les hommes abattus demandant à leurs familles de s'enfuir, de se baisser avant que n'arrive la prochaine rafale et les arrache à cette vie.
Chakotay se colla les mains sur les tempes, comme s'il était possible de se boucher les oreilles pour refouler les sons qui provenaient de l'intérieur même de son esprit. Il respira doucement et calmement puis ouvrit les yeux, se forçant à voir la réalité en face. Il n'y avait plus de Cardassiens, plus d'enfants en pleurs ni de femmes mourantes. Sur Trebus, tout était calme. Le seul son était le son pouls qui claquait comme une centaine de chevaux galopant dans sa tête.
"Calme-toi, mon vieux", dit-il. "Tu es venu ici pour calmer les choses, et pas pour réveiller de vieux fantômes."
Avec un calme presque stoïque, Chakotay traversa ce qui restait de ce passé dévasté. Et malgré son comportement calme en apparence, les fantômes continuaient de crier dans son esprit. 'Que veux-tu dire, tu quittes la tribu ? Tu n'appartiens pas à ce monde-là Chakotay.'
"Je le sais, père", murmura-t-il. "Mais je n'appartiens pas à celui-ci non plus." Et il le pensait vraiment. Chakotay se sentit mal à l'aise, pas à sa place. Il ne se sentait nulle part à sa place... jusqu'à Voyager.
Enfin, il atteignit sa destination. L'emplacement où se tenait la maison de son père n'était plus que décombres et poussières, mais il le savait, instinctivement. Il traversa les débris desséchés et décomposés jusqu'à atteindre l'endroit qui était autrefois le centre de méditation spirituelle et d'exploration intérieure, le Habak.
Il s'agenouilla, reposant son poids sur ses talons, et recueillit une poignée de terre. Il laissa la poussière fine et sèche s'écouler de ses doigts en se demandant de façon morbide pendant un bref instant, de combien d'os de son peuple et de sa famille étaient faites ces cendres. "J'aurais du être là. Si ce n'est pour les défendre, alors au moins pour mourir à leurs côtés."
A cet instant, les souvenirs des temps passés envahirent Chakotay. Ils faisaient boomerang dans son esprit à la vitesse de distorsion, ricochant les uns sur les autres jusqu'à ce qu'ils perdent leur résonance individuelle et deviennent une énorme pensée brouillée.
Il entendait les voix des gens de son peuple. La dernière fois qu'il en avait vu un en vie, il avait été irrespectueux et véhément. Puis il était parti, plein de colère et de mécontentement. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi sa tribu refusait de s'engager dans le vingt-quatrième siècle. Il s'imaginait bien au-dessus de la simplicité de leur mode de vie, et il s'était assuré que son père en ait conscience. Il était parti la haine au coeur et il n'en avait revu aucun d'eux après cela.
La culpabilité était forte, comme la main de Satan elle-même atteignant et broyant son coeur battant dans sa poitrine.
Alors que le souvenir douloureux de sa dernière visite parmi les siens l'envahissait, Chakotay se souvint avec une déchirante précision pourquoi exactement il s'était débarrassé de son uniforme de Starfleet et avait initialement rejoint le Maquis.
Il ressentit un feu familier dans ses tripes tandis que l'ancienne fureur et la colère remontaient à la surface. Mais ce n'était pas la raison pour laquelle il était venu sur Trebus. Il n'était pas venu pour ranimer son étincelle de Maquisard. Ces temps étaient révolus et la bataille terminée. Au lieu de cela, il était venu pour retrouver sa paix intérieure. Il était temps pour lui d'enterrer sa culpabilité et sa douleur, avec les gens de son peuple.
Au prix d'un effort presque physique, il réussit à soumettre ces pensées atroces en se rappelant du visage de la seule personne dans sa vie qui lui avait permis de remettre cet uniforme. Catherine. Grâce à elle, il avait porté son uniforme de Starfleet avec grande fierté. Pas parce qu'il croyait en Starfleet, mais qu'il croyait en elle. Elle était devenue sa meilleure amie et lui avait apporté la seule paix qu'il ait jamais connue.
Ainsi, si ce n'était pour une autre raison qu'elle, il savait qu'il devait trouver le moyen d'enterrer le guerrier furieux.
Il sortit son équipement médicinal de son sac à dos et l'étala sur le sol. La fourrure s'était usée avec le voyage à travers la galaxie, ce qui le rendait encore plus précieux aux yeux de Chakotay. Il disposa les objets sur ses jambes repliées. Une aile d'oiseau noir, une pierre provenant d'une rivière et l'Akoonah.
Il ferma ses yeux et plaça sa paume droite sur l'appareil qui s'alluma et vrombit en réponse, générant un sentiment d'euphorie dans tout son corps. Avant même qu'il ait entamé la prière rituelle, son esprit recréa le Habak tel qu'il était la dernière fois qu'il l'avait vu.
De son oeil spirituel interne, il vit les murs couverts des anciens écrits décrivant l'Histoire du Premier Père et de la Création du Ciel. La pièce était pleine d'objets anciens, de figurines et de talismans spirituels. Il pouvait même sentir l'arôme léger de la sauge se consumant.
"Akoochimoyah..."
 
***
 
De l'autre côté du village, la console de la navette d'Atraya s'anima. "Réception d'une transmission", débita d'un ton monotone l'ordinateur. Bien entendu, il n'y avait pas de pilote pour réceptionner le message en provenance de la terre. Il était au plus profond d'une quête de vision, son esprit dans un autre lieu et dans un autre temps.
 
***
 
L'Amiral Paris sut qui sonnait à sa porte avant même de donner la permission d'entrer. Il soupira et repoussa le rapport qu'il était en train de lire, puisque sa visiteuse, si particulière, ne nécessiterait rien de moins que toute son attention. "Entrez, Catherine."
La porte coulissa pour laisser apparaître Janeway, les mains sur ses hanches, un sourcil levé d'un air surpris. "Comment avez-vous su que c'était moi ?"
"Je peux sentir l'odeur du café qui semble toujours précéder votre entrée dans une pièce."
"Très amusant", dit-elle d'un air narquois.
"Je m'entraîne."
Elle entra dans le grand bureau, un léger sourire se propageant sur son visage en remarquant les dernières photos rajoutées sur le mur de l'Amiral. Là, au centre, se trouvait une magnifique photo de B'Elanna et Tom, les bras l'un autour de l'autre avec une Miral souriante assise au milieu d'eux. Ses joues potelées de bébé étaient d'un rouge rosé et ses toutes petites mains étaient jointes devant elle, comme si elle applaudissait.
En dépit de sa propre peine intérieure du moment, Janeway avait le coeur empli de chaleur en voyant cette famille épanouie dont elle aimait penser avoir participé à sa création. Et elle était particulièrement ravie de voir la photo parmi toutes les autres du clan Paris. Elle savait que Tom et son père n'avaient pas eu ce que l'on pouvait appeler des retrouvailles faciles. En fait, ils avaient eu leur part d'épreuves et de difficultés. Elle était heureuse de voir qu'ils avaient fait un long chemin depuis ce moment-là.
Elle passa son doigt le long du cadre élégant. "Quelle belle photo de la famille Paris !" Elle tapota son menton avec son doigt d'un air pensif. "Mais je me demande..."
"Où elle a été prise ?" l'aida-t-il gentiment.
"Non", dit-elle. "Où est la mienne ?"
"Excellente question", sourit Owen. "A laquelle j'ai bien peur de ne pouvoir répondre. Il faudra que vous voyiez cela avec ma charmante belle-fille. C'est elle qui s'occupe officiellement de la répartition des photos."
"Je vois." Elle s'assit sur le siège qu'il lui proposa, en face du bureau. "Miral grandit si vite. Comment va-t-elle ?"
Les joues de l'Amiral rougeoyèrent vraiment d'une fierté que seuls les grands-parents peuvent ressentir. "Oh, elle est merveilleuse !" s'emballa-t-il. "Je vous le dis, ce doit être l'enfant le plus intelligent qu'il m'ait été amené de connaître dans ma vie."
"Je veux bien le croire", dit-elle avec un semblant de fierté dans la voix, que seul un grand-parent peut posséder.
"Savez-vous qu'elle parle déjà ?"
Cela déclencha chez Janeway le froncement de ses deux sourcils. "Déjà ?"
Il acquiesça d'un signe de tête. "Oui. Pas plus tard qu'hier dans la cuisine, elle a ouvert ses petits bras et dit, 'Pa-Pa'."
Janeway dut faire appel à son self control pour étouffer un rire. "Vous dites qu'elle vous a appelé 'papa' ?"
Paris soupira et regarda Janeway comme si elle était un élève un peu lent en classe. "Non, pas papa comme dans papa, mais papa comme dans 'grand-papa'."
A ce moment-là, elle lui fallut un irrésistible effort afin de ne pas éclater de rire. Y avait-il une différence ? Janeway, apparemment la seule adulte responsable pour le moment dans la pièce, savait qu'un bébé de l'âge de Miral faisait beaucoup de babillages, mais pas beaucoup plus, et encore moins ne parlait vraiment. Mais si l'Amiral Paris voulait croire que sa petite fille lui parlait déjà en lui disant 'grand-papa', qui était-elle pour le contredire ?
Elle sourit cordialement. "C'est merveilleux, Monsieur, vous devez être très fier."
"En effet, oui."
"Bien sûr, il va de soi que Miral est intelligente. Regardez les parents qu'elle a, d'une part", dit Janeway. "Et elle est née à bord du Voyager."
Paris remarqua que les yeux de sa subordonnée s'obscurcissaient à la mention de son vaisseau. Son sourire enjoué disparut et il sut qu'elle se battait pour ne pas montrer la tristesse qu'elle ressentait.
Il était peut-être un homme de bureau, mais Owen Paris était surtout un baroudeur de l'espace, il n'y avait pas si longtemps que ça. Il savait ce que cela faisait de perdre un vaisseau. C'était un peu comme de perdre un enfant. Un autre sentiment qu'il connaissait trop bien. Il savait que Janeway souffrait beaucoup, malgré son apparence courageuse. Et il était déchiré entre son rôle d'Amiral professionnel et détaché et l'envie de réconforter celle qu'il avait toujours considéré comme une amie.
Ses doux yeux bleus scrutèrent son visage avec attention. "Comment allez-vous, Catherine ?"
Elle haussa les épaules et feignit l'indifférence. "Je ne suis pas heureuse de ce qui va advenir. Mais j'apprends à faire avec."
Owen soutint son regard sur Janeway, étant bien disposé à l'empêcher de regarder ailleurs. "Je pense que vous n'êtes pas seulement mécontente à ce sujet."
"Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur, quelle différence cela fait-il ? Que je pleure et que je me tape la tête contre les murs ou que je me taise tout simplement et que je l'accepte, dans tous les cas, le résultat final est le même. Voyager sera retiré du service, que cela m'affecte ou non."
"C'est vrai", concéda-t-il. "Mais les émotions ont une existence propre malgré tout, n'est-ce pas ? Vous ne pouvez pas simplement les commander comme vous le faisiez avec votre vaisseau, Capitaine."
"Non, c'est vrai." Elle releva son menton avec défi. "Mais je ne peux pas leur permettre de me commander non plus."
" Voyons, Catherine, je sais que c'est extrêmement difficile pour vous. Cela le serait pour quiconque dans de telles circonstances."
Il croisa ses bras sur son ventre généreux et regarda Janeway d'un air paternel. "Je peux voir que vous allez enfouir votre chagrin tout au fond de vous-même, c'est votre façon d'être. C'est une mauvaise habitude que vous tenez de votre père, et elle s'est seulement intensifiée avec tous les insignes sur votre col. Je comprends cela et je ne vous obligerai pas à faire face à vos émotions. C'est votre problème. Mais je veux parfaitement clarifier un point. En dépit de toutes les difficultés que nous avons rencontrées depuis votre retour sur Terre, je reste votre vieil ami. Si je peux faire quelque chose pour alléger votre fardeau, tout ce que vous avez à faire est de demander."
Janeway arqua un sourcil auburn. "Vous le pensez vraiment, Monsieur ?"
"Bien sûr que je le pense. Je ne l'aurai pas dit sinon."
"Bien", dit-elle résolument. "Parce qu'aussi plaisante qu'était ma visite, j'étais en fait venue pour une raison précise : faire une demande concernant le Voyager."
Janeway aurait juré que quelqu'un avait déclenché l'alerte rouge. A l'instant même où elle avait prononcé sa phrase, les boucliers de l'amiral Paris étaient apparus. Son expression si amicale et compatissante, il y a un moment, était maintenant contenue, voire même légèrement méfiante. Elle en arriva à se demander ce qui s'était exactement déroulé lors de cette réunion tristement célèbre pendant laquelle le sort du Voyager avait été scellé. C'est drôle comment l'ambiance d'une réunion peut changer avec une simple phrase.
"Une requête ?" dit-il posément.
"Oui, une que je pense être parfaitement raisonnable." Elle croisa ses bras sur ses genoux. "J'ai l'intention de demander officiellement à ce que mon équipage et moi-même soyons désignés pour faire voler Voyager pour son dernier voyage d'ici à Utopia Planitia."
Owen ne dit rien, mais une ombre sombre faisait son chemin à travers son visage.
"Je veux le commander une dernière fois, Amiral. Je ne pense pas que ce soit une demande injustifiée."
"Catherine, je pense que la meilleure chose que vous puissiez faire est de l'accepter tout simplement. Ne vous impliquez pas sur ce point. Laissez Starfleet s'en charger."
Ses yeux s'élargirent d'un air interrogateur. "Laisser Starfleet s'en charger ? Je pensais que je faisais partie de Starfleet."
"Bien sûr que oui", soupira-t-il. "Ce n'est pas ce que je voulais dire."
"Que vouliez-vous dire alors, exactement ?"
"J'essaie simplement d'éviter de vous faire encore plus de peine. Votre équipage et vous avez été invités sur Utopia Planitia pour observer l'amarrage de Voyager. On vous demandera de faire un discours à ce moment-là. Tenez vous-en à cela."
Elle n'était pas vraiment certaine de la façon dont elle devait prendre cela. Tout ce dont elle était sûre était qu'elle sentait monter la colère en elle. Sa voix fut basse mais contrôlée en prenant la parole. "M'en tenir à cela ? Owen, vous me connaissez probablement mieux que presque tous mes autres supérieurs. Vous savez, aussi vrai que vous êtes assis ici, que je ne peux pas simplement 'laisser tomber'. Mon équipage le mérite."
Il secoua la tête en signe de frustration. "Vous savez fichtrement bien que les décisions ne sont pas prises en fonction de ce que les gens méritent ou non. Elles sont prises en fonction de ce qui est préférable pour la Fédération."
"Comment le fait que je commande Voyager entre la Terre et Utopia Planitia peut-il, de quelque façon que ce soit, nuire à la Fédération ?"
"Je n'ai pas dit que ça le serait", dit-il, montant légèrement sa voix. Il fixa fermement ses yeux bleus sur les siens. "Ne faites pas de vagues dans cette affaire, Capitaine."
Janeway se leva et se pencha vers lui, les paumes des mains pressées contre la surface du bureau. "Je n'essaie pas de faire des vagues, Amiral. Mais avec tout le respect que je vous dois, je pense avoir le droit de faire ça. Je me suis battue huit ans durant pour garder ce vaisseau en un seul morceau et mon équipage en vie et j'ai insisté pour que tout le temps, en dépit d'une inimaginable adversité, nous restions un équipage de Starfleet, fidèles envers les principes et les valeurs de la Fédération.
"J'ai laissé passer les unes après les autres les opportunités de rentrer plus vite afin de respecter ces principes et, tout au long du voyage, des gens ont souffert et d'autres sont morts. Et je continue à tenir position, insistant sur le fait que si nous abandonnons la moralité de Starfleet, nous cessons d'être humain.
"Après tout cela, une fois arrivés enfin à la maison, a-t-on été accueilli les bras ouverts et reconnus pour nos sacrifices ? Non. Nous avons été séparés, les familles déchirées et les amis empêchés de se réconforter entre eux. Et nous avons été entendus par des commissions, chaque action débattue et nos décisions prises lors de notre voyage sujettes à questions et examinées minutieusement. Et nous sommes toujours loyaux.
"J'ai pris de mauvaises décisions pendant mon commandement. Je l'admets. J'en assume la responsabilité devant vous et toutes les personnes du commandement de Starfleet. Et maintenant ils vont désarmer mon vaisseau, une décision pour laquelle personne n'a pris la peine de me consulter ou de me demander mon opinion. Et je continue à dire 'Oui, Monsieur' et à me plier aux ordres. Et maintenant parce que j'ai juste une petite requête à formuler, une qui ne mettra absolument pas Starfleet ou la Fédération en danger, je FAIS DES VAGUES ?"
"J'ai bien peur que vous ayez à m'expliquer tout ça, Amiral, parce que je n'y comprends plus rien. Comment est-ce que je me ferai du mal inutilement en vous demandant cela ? Le Voyager est MON vaisseau. Je veux juste l'emmener à sa dernière demeure !".
L'Amiral Paris se leva et écrasa son poing sur le bureau. "Surveillez votre ton avec moi, Capitaine. Nous sommes peut-être de vieux amis, mais j'étais un Amiral quand vous portiez encore des nattes ! Et le Voyager n'est pas VOTRE vaisseau. Il appartient au peuple de la Fédération. Le commander était votre privilège et non votre droit. Il y a des choses que vous devez accepter, et celle-ci en fait partie. Votre fonction à bord du Voyager est terminée. Acceptez-le et allez de l'avant, c'est un ordre."
Il fit une pause, ravalant sa colère et recouvrant son calme. Son ton s'adoucit quelque peu en regardant cette femme qui avait fait de son fils imprévisible un homme alors qu'il n'était pas là, et une fois de plus ces jours derniers, son uniforme lui parut lourd sur ses épaules.
"Ne me demandez pas cela, Catherine. Ces détails ont déjà été mis au point. Vous arriverez juste à nous mettre tous les deux dans une position embarrassante et pénible."
"Je vais vous le demander carrément, Amiral. Plus d'affectation ni de grade avec pouvoir. Si vous nous refusez cette dernière dignité, vous allez devoir me le dire en face." Elle rehaussa ses épaules, fit claquer ses talons et se mit au garde à vous. "Permission de rassembler mon équipage et de commander le Voyager de la Terre à Utopia Planitia, Monsieur ?"
L'Amiral Owen Paris, entraîné momentanément dans une lutte intérieure entre ses émotions et son devoir, baissa légèrement la tête. Alors, ayant pris sa décision, que Janeway et lui-même connaissaient depuis le début, il regarda son ancienne élève dans les yeux et dit à regret, mais fermement, "Permission refusée."
 
***
 
Avant que ne se calment les rires provoqués par son dernier commentaire sournois, le Cadet Tyler décida d'ajouter un autre commentaire spirituel. "Mais oui, les Borgs ont une morale... Et moi je suis Amiral !"
Icheb se retourna pour répondre, mais le professeur Cheney le devança. "Je vous demande pardon, Cadet. Avez-vous un commentaire ?"
Les joues de l'humain arrogant se mirent à rougir visiblement, ce dont Icheb fut silencieusement reconnaissant. Au moins, il n'était pas le seul. "Non, Monsieur !" aboya Tyler docilement. "Je n'ai rien à dire, Monsieur !"
"Il semblerait qu'au contraire", dit-il, "vous aviez beaucoup à dire, il y a à peine quelques instants, Monsieur Tyler. Il m'a semblé au moins vous entendre murmurer quelque chose au Cadet Jessip. Peut-être devrais-je le lui demander." Il détourna son attention vers l'autre Cadet, un jeune homme Bajoran. "Alors Cadet ? Avez-vous entendu ce que votre ami avait à dire ? Apparemment, il préfère ne pas en faire part à toute la classe."
"Non, Monsieur." Le Cadet Jessip lança un regard en coin à son camarade avant d'entamer un examen approfondi de ses bottes.
"Très intéressant", marmonna Cheney. "Peut-être devriez-vous vous rendre à l'infirmerie pour un examen des oreilles, Monsieur Jessip." Il jeta un coup d'oeil à la jeune Vulcain assise à côté d'Icheb. "Et vous, Cadette T'Kara. Les Vulcains ont des capacités auditives supérieures. Peut-être n'allez-vous pas laisser languir plus longtemps un vieil homme et me dire que je ne commence pas à entendre des voix dans ma tête. Avez-vous entendu les commentaires du Cadet Tyler ?"
La Vulcaine regarda le professeur posément. "Oui, Monsieur, je les ai entendus."
"Ah", sourit Cheney. "Donc, je ne suis pas fou. Merci, T'Kara. Et qu'a dit notre Monsieur Tyler, alors ?".
T'Kara lança un regard à Icheb et souleva un sourcil avec élégance. "Il a fait un commentaire désobligeant dirigé vers le Cadet Icheb concernant l'éthique Borg, ou sa perception du manque d'éthique chez les Borg."
Le professeur hocha la tête comme s'il s'agissait de la réponse qu'il attendait. "Et... qu'en pensez-vous ? Etes-vous d'accord avec cette appréciation ?"
T'Kara lança un bref regard à son collègue qui ne mâchait pas ses mots avant de dire, "non, je ne le suis pas."
"Très intéressant. Et, sur quoi basez-vous votre opinion ?"
"On peut dire sans se tromper que le Cadet Tyler n'a pas ou très peu d'expérience sur le collectif Borg. Toutefois, ses suppositions sont basées soit sur des ouï-dire, soit sur des préjugés qu'il a acquis par l'intermédiaire d'autrui, plutôt que sur des faits. De telles suppositions sont sujettes à l'erreur et à une interprétation erronée."
"Aussi, la véritable nature du collectif Borg tend à suggérer qu'ils ont, en fait, une certaine éthique. Ce n'est simplement pas le même genre d'éthique auquel les humains sont habitués. Le fait est qu'ils sont différents de ceux de la Fédération, ce qui nous perturbe à bien des niveaux, mais ne les rend pas pour autant moins vrais ni légitimes."
Semblant satisfaite de sa sagacité, T'Kara regarda simplement son instructeur avec ce sourcil levé si caractéristique.
Icheb ressentit une vague inattendue d'affection et de gratitude pour T'Kara. Une alliée inattendue dans cette situation. Il nota dans sa tête qu'il devrait la remercier plus tard pour son impartialité.
Cheney sourit d'approbation. "Un point de vue des plus logiques, Cadette T'Kara. Merci de nous en avoir fait part." Puis il ouvrit les bras largement, comme pour inviter la classe entière à sauter sur l'occasion. "Est-ce que quelqu'un d'autre serait assez brave pour nous exposer son opinion ?"
Silence.
"Je pensais bien que non. Très bien", dit-il en faisant de nouveau les cents pas devant ses élèves. "Alors, vous allez écouter la mienne." Il regarda le groupe avec attention, faisant une pause pour rassembler ses pensées.
"Ce qui s'est passé aujourd'hui me perturbe. Cela me perturbe énormément. Vous voyez, bien que Monsieur Tyler ait pu penser être très drôle, ses commentaires étaient guidés par la haine. Pensez-vous que ce soit un peu fort ? Le mot haine ? Peut-être le Cadet Tyler ne hait-il pas vraiment le Cadet Icheb en tant qu'individu. En fait, je suis prêt à parier qu'il le connaît à peine. Mais il arbore une haine évidente envers les Borgs.
"Maintenant, je me doute de ce que vous devez tous penser. Nous avons suffisamment de raisons de haïr les Borg, n'est-ce pas ? Ils ont assimilé des millions et des millions de personnes, des actions que nous trouvons véritablement diaboliques. Je suis d'accord avec cela. Toutefois, Icheb, ici présent, ne fait plus partie du Collectif. C'est un citoyen de la Fédération et un élève ici à l'académie de Starfleet. Sur ce point-là, il est l'un des nôtres, pourtant vous suggérez qu'il vaut moins que vous, Cadet Tyler, simplement à cause de sa race. Une race dont il n'est même pas originaire en fait.
"Icheb fut une victime des Borg dans son enfance. Il a été libéré depuis et travaille pour retrouver son individualité. Nous sommes supposés être ouverts, n'est-ce pas ? Nous chantons la liberté et un toit pour chacun. Et pourtant, ici, au coeur même de Starfleet, vous le persécutez encore pour quelques rires ?"
"Tous les autres, ceux qui rient de son infortune, lui êtes-vous supérieurs tout simplement car que vous êtes nés d'une quelconque race ou couleur ? Regardez-le. Il vit, respire, exactement comme vous. C'est une chose de haïr vaguement toute une société, c'en est une autre de haïr l'individu qui se tient devant vous."
"Starfleet et la Fédération prônent la tolérance, Cadets. La tolérance envers les races qui sont différentes de la nôtre. La tolérance pour les peuples dont les idées sont en contradiction, voire même s'opposent aux nôtres. C'est une société libre, et cela signifie qu'elle doit être ouverte à et égale envers tous les peuples de la Fédération. Tout ce qui est moins que cela nous amoindrit tous considérablement."
"Je réalise que c'est une période d'apprentissage pour vous, et faire des erreurs fait inévitablement partie du processus. J'ai donc espoir que vous reconnaîtrez vos erreurs aujourd'hui, et que vous deviendrez meilleurs grâce à elles. Le caractère unique d'Icheb est une des beautés de l'univers, et cela vous permet d'avoir l'opportunité d'apprendre, d'étendre votre esprit... si vous êtes assez matures."
"Pensez à cela alors que vous foulez le sol de l'Académie aujourd'hui, un uniforme de Starfleet sur le dos. Chaque guerre passée sur chaque monde, où que ce soit dans la galaxie, a démarré pour une raison et une seule. Les guerres arrivent parce que quelqu'un a éprouvé de la haine envers une tierce personne. Chaque atrocité, chaque acte de violence qui a lieu, a commencé avec de la simple haine."
"Mesdames et Messieurs, vous devez trouver un moyen de dépasser vos peurs primitives et vos préjugés. C'est là tout l'essentiel de votre instruction. Si vous ne pouvez pas faire cela, vous n'avez pas à porter cet uniforme."
Cheney lança un regard sérieux à ses élèves, permettant au silence de ponctuer ses mots. Puis il annonça simplement, "Fin de la classe."
Alors qu'Icheb se levait pour quitter la pièce, ses yeux croisèrent ceux du professeur, faisant apparaître sur son jeune visage une gratitude évidente. Cheney fit un léger signe de tête en guise de réponse. Et à ce moment, une compréhension passa entre eux. Peu importe maintenant ce qui pouvait se produire, peu importe l'étroitesse d'esprit qu'il pouvait rencontrer, le Professeur Cheney le comprenait. Icheb avait un ami à l'Académie de Starfleet. Et avec un ami, même juste un, une personne pouvait presque tout accomplir.
 
***
 
L'odeur dans la pièce, un mélange de rondelles de citrons, de doux vermouth et une touche d'odeur de renfermé, flotta jusqu'à ses narines alors qu'il entrait. Il se tint dans l'ombre de la porte, prenant son temps pour balayer la pièce du regard avec langueur. C'était juste comme il s'en souvenait, du bar en cerisier sombre au feu crépitant dans la cheminée.
Sandrine, la vraie, pas une représentation holographique, cela lui réjouissait le coeur de voir cela.
"'Bonsoir, Monsieur Thomas !' (*) Content de vous voir 'mon cher' !" (*)
(* en français dans le texte)
Il fallut moins d'une seconde à Tom Paris pour localiser la propriétaire de cette voix. Il sourit avec espièglerie quand ses yeux aperçurent sa toute petite silhouette. Des cheveux blonds luxuriants amassés de manière provocante sur sa tête, de hautes pommettes et des yeux bleus malicieux, agrémentés d'un visage séduisant et d'un fort accent français. Ses yeux pétillèrent de joie quand il la salua. "Salut, Sandrine."
Elle se précipita dans ses bras et recouvrit ses lèvres d'un baiser qui n'était pas très approprié pour un homme marié. Surtout un homme marié avec une demie-Klingonne.
Paris se perdit un bref moment dans son baiser tandis que les odeurs et les sons de la taverne, ainsi que la douce sensation des lèvres de Sandrine sur les siennes le ramenaient dans un autre temps, vers une autre vie. Son égarement dans ses souvenirs fut toutefois bref puisque sa femme du temps présent lui asséna un coup de coude assez violent dans la cage thoracique.
"Est-ce que les French kiss sont le standard ici, ou est-ce juste réservé à mon mari ?" B'Elanna replia ses bras sur sa poitrine et lança un regard furieux à la femme blonde qui s'était accrochée si facilement aux lèvres de son mari.
Sandrine s'arracha des lèvres de Tom et regarda avec scepticisme B'Elanna puis Paris. "It's vrai, Thomas ? It is ton 'amour' ?"
Tom sourit fièrement et passa son bras autour de B'Elanna. Il la tira vers lui, en partie parce qu'il adorait la sentir à ses côtés, mais surtout aussi pour l'empêcher de tuer Sandrine de ses propres mains.
"Sandrine, voici ma femme et la mère de mon enfant, B'Elanna Torres."
Sandrine sourit malicieusement et prit la main de B'Elanna entre les siennes. "'Hel'lo', B'Elanna. C'est une femme impressionnante qui a su capturer le coeur de Monsieur Paris. Ses yeux sont faciles à capturer, mais son coeur c'est une autre histoire, n'est-ce pas ?"
"Si vous le dites", dit B'Elanna, retournant le même sourire de malice. "Je ne pouvais pas m'en débarrasser, alors j'ai abandonné et dîné avec lui. Il est coincé avec moi depuis."
Paris lança à chacune un sourire espiègle. "La meilleure chose que j'ai jamais faite." Il embrassa doucement B'Elanna sur le haut de la tête et la serra dans ses bras.
"Ouaouh, Paris", intervint Harry Kim d'une voix excitée. Il tapa Tom sur l'épaule en le frôlant tout en entrant dans la pièce. "C'est incroyable. Tu avais reconstitué parfaitement cette pièce dans ton programme holographique. Les couleurs, les odeurs, tout. Je dois dire que je suis impressionné."
Sandrine dévora des yeux son nouveau client, le buvant comme du bon champagne. Elle marcha d'un pas nonchalant vers lui et avec un air clairement provocateur, fit glisser un ongle manucuré le long de son biceps. "Et qui est-ce, Thomas ?"
Harry sourit à la petite femme. Elle ressemblait exactement à son équivalent holographique, jusqu'aux légers vêtements stimulants qu'elle portait. "Et vous devez être Sandrine."
Elle sourit d'une manière séduisante et lui tendit la main pour un baiser. "'Enchantée'." (*)
Harry embrassa sa main et s'inclina légèrement au niveau de la taille. "Mon nom est Harry Kim. Je suis un ami de Tom. C'est un plaisir de vous rencontrer."
B'Elanna fronça un sourcil et sourit malicieusement. "Eh bien, vous êtes le gentleman par excellence, aujourd'hui, Starfleet ?"
Il sourit en retour à sa vieille amie. "Tu sais ce qu'on dit, Maquis : 'Il faut faire comme les gens du pays'..."
"Porte toujours des sous-vêtements propres parce que tu ne sais jamais quand tu vas finir en toge ?" offrit Paris obligeamment.
"Tu sais, Paris, c'est une bonne chose que tu sois un pilote de premier ordre. Je m'inquiéterais pour ta femme et ta fille si tu devais faire carrière comme comédien", dit Harry.
Paris tapa dans le dos de son ami. "C'est pour cela que je te garde près de moi, Harry. Tu as toujours un mot encourageant ou deux."
Le trio s'avança dans la taverne déjà bondée des membres de l'ancien équipage de l'USS Voyager. Il y avait toujours des gens qui restaient introuvables, tout particulièrement ceux de l'équipe de commandement. Paris était sur le point de demander à sa charmante femme si elle avait eu des nouvelles de Chakotay toujours introuvable, lorsqu'une légère tape sur son épaule le fit se retourner.
Il se retourna et baissa les yeux sur le visage souriant, et pourtant toutefois triste, de Catherine Janeway. Elle lui serra l'épaule affectueusement. "C'est merveilleux, Tom. Merci d'avoir arrangé cela pour moi, je vous suis redevable."
"Tout le plaisir est pour moi, Capitaine", dit-il galamment. "Tout ce que je vous autoriserais bien à faire pour moi serait que je vous batte au billard, mais..."
Les yeux bleus de Janeway s'élargirent alors qu'elle réalisait que la table de billard brillait par son absence dans la pièce. Des tables et des chaises occupaient maintenant l'endroit où la fameuse et fière table de billard se tenait auparavant. "Vous avez demandé à Sandrine d'enlever la table de billard ? Vous êtes enjôleur, Monsieur Paris." Elle sourit admirativement à son ancien pilote. "Si j'avais eu la moitié de votre charme avec l'amirauté, il n'y aurait peut-être jamais pas eu de procès".
Il lui sourit affectueusement, se demandant comment elle pouvait ne pas se rendre compte de l'effet qu'elle produisait sur les gens. Elle était l'une des femmes les plus captivantes qu'il ait rencontré, et considérant son passé, cela signifiait réellement quelque chose. "Ne vous dévalorisez pas, Capitaine. Vous êtes plutôt ensorcelante vous-même. Votre charme est probablement la seule raison pour laquelle on a vécu pour revoir cet endroit."
Elle rit au compliment, mais Paris savait que cela la touchait. "Je n'en sais rien", gloussa t-elle. "Je dirais plutôt qu'on doit notre bien-être à vos compétences de pilotage non conventionnelles."
Paris rayonna à la remarque.
"Attention, Capitaine", l'avertit B'Elanna pour plaisanter. "Il y a tout juste assez de place dans le bar pour tout le monde. Si son ego s'accroît davantage, on risque d'être obligé de tenir cette réunion dehors dans la rue."
Ils rirent tous aux frais de Tom, mais Torres ne put s'empêcher de remarquer la façon dont l'attention de Janeway était ailleurs tandis que son regard balayait la pièce. Elle prit doucement la femme d'âge moyen par le bras. "Venez, laissez-moi vous offrir un verre."
Janeway lui sourit chaleureusement. "Merci, j'en ai bien besoin."
Les deux femmes prirent un siège au bar et commandèrent leurs boissons. B'Elanna se pencha plus prêt de Janeway. "Des nouvelles de Chakotay ?"
Catherine secoua la tête. "Non. J'ai parlé à sa soeur. Elle m'a dit qu'il avait emprunté sa navette privée et elle le soupçonnait de s'être isolé."
Le front de B'Elanna se plissa, accentuant encore plus son arête frontale. "Isolé ? Où ça ?"
"Je ne sais pas", répondit-elle en haussant les épaules. "Apparemment, il n'a rien dit. Elle m'a donné sa fréquence de communication et je lui ai envoyé un message. Mais il n'y a pas répondu."
B'Elanna parut inquiète. "Peut-être est-il hors de portée."
Janeway soupira tristement. "J'espère que non. Il ne se le pardonnera jamais s'il manque cela."
Les sourcils de B'Elanna se levèrent d'un air interrogateur. "Manquer quoi ? Que se passe-t-il Capitaine ?"
Janeway sembla quelque peu surprise d'avoir laissé échapper de sa bouche un indice de ce qui allait se passer. Elle redoutait d'avoir à expliquer à tous ces gens ce qui allait arriver à leur vaisseau, leur foyer pendant tant d'années. Mais ils avaient le droit de savoir et elle n'avait jamais été de celles qui se défilaient face aux responsabilités, peu importe à quel point ce serait désagréable.
Elle sirota son verre de Chardonnay et reposa son bras autour des épaules de B'Elanna. "Vous le saurez bien assez tôt, B'Elanna. Mais pour le moment, partagez donc ce verre avec votre vieux Capitaine, hein ?"
"D'accord", dit B'Elanna. Elle leva son verre et croisa le regard de Janeway. "Au Voyager."
"Oui", dit Janeway tristement. "Au Voyager."
De l'autre côté de la pièce, le docteur se pencha légèrement en arrière dans son fauteuil et regarda son ancien Capitaine avec un oeil interrogateur. Il remarqua la manière légèrement tendue qu'elle avait de tenir ses épaules, la subtile mais indéniable façon qu'elle avait de masser régulièrement son arête nasale, une manière qu'elle utilisait toujours quand elle tentait d'empêcher un mal de tête d'arriver.
Il discerna le léger soulèvement de son menton, pas assez pour le considérer comme un défi, mais avec un zeste de rébellion à peine contenu. Elle se tenait exactement de la même manière que les nombreuses fois où il l'avait vu sur le point d'entreprendre quelque chose qu'elle ne souhaitait pas faire.
Elle apportait sans aucun doute des nouvelles désagréables. Il connaissait son langage corporel comme le fond de sa poche holographique. Il jeta un regard vers Seven et Tuvok, assis à la même table que lui. "Je connais cette expression." Il fit un signe de tête en direction de Janeway. "Elle est sur le point d'être le porteur de mauvaises nouvelles."
Seven, qui ne s'était apparemment pas aperçue du comique de la situation d'être assise dans un bar avec un hologramme et un Vulcain alors que de nombreuses plaisanteries avaient par ailleurs débuté, le regarda avec une expression détachée à son habitude. "Sur quels faits basez-vous votre supposition, Docteur ?"
"C'est évident", dit-il d'un air quelque peu indigné. "C'est écrit sur son visage."
Seven, certaine que son implant optique pouvait détecter toute inscription sur l'épiderme du Capitaine, parut simplement troublée. Mais Tuvok hocha la tête légèrement. "La métaphore exagérée du docteur n'est pas sans fondement, le Capitaine Janeway semble être... quelque peu agitée."
Le haut du front du docteur se rida d'étonnement. "Quelque peu agitée ? On dirait que sa peau est la seule chose qui l'empêche de d'exploser dans toutes les directions en même temps. Il considéra Tuvok de haut. "Je ne comprendrais jamais la tendance des Vulcains pour l'euphémisme."
"Manifestement", dit Tuvok, un brin d'humour narquois traversant son stoïcisme.
"Je n'arrive pas à comprendre dans quel but sont faites ces spéculations", dit Seven. "Peut-être devrions-nous tout simplement demander au Capitaine pourquoi elle nous a tous fait venir ici."
"Je ne pense pas que cela soit nécessaire, Seven", dit Tuvok. Il fit un signe de tête en direction de Janeway, qui était en train de prendre place devant la pièce. "Je crois que le Capitaine est sur le point de prendre la parole."
Un silence envahit la pièce lorsque Catherine prit position devant son ancien équipage. Ses yeux balayèrent la pièce lentement, s'arrêtant sur chacun de ces visages qu'elle connaissait si bien. Elle ravala la boule d'émotion qui commençait à grossir dans sa gorge, pendant que son esprit cataloguait les visages de ceux qui étaient portés disparus. Ceux qui n'avaient pas pu rentrer à la maison. Des images de ceux qu'elle avait perdu apparaissaient spontanément dans son esprit.
Kes, son doux visage de lutin et sa voix musicale, était scellée dans l'esprit de Janeway. Neelix, resté derrière pour devenir un mari et un père, lui manquait terriblement. Et il y avait les visages de ceux qui étaient morts sous son commandement. Dalby, Ballard, Hogan, Stati... Elle pourrait continuer comme ça longtemps. Elle avait ressenti profondément chacune de ces pertes quand elles étaient survenues, et elle les ressentait aussi vivement aujourd'hui.
Les autres, en uniforme de Starfleet ou en civil, étaient présents et justifiaient cela. Tous, exceptée une personne dont elle avait vraiment besoin à ce moment. L'absence de Chakotay était palpable et elle savait que les autres la ressentait presque aussi fort qu'elle. Elle fit du mieux qu'elle put pour repousser tout au fond de son esprit les pensées qu'elle avait pour lui, et espéra que, où qu'il soit, il reviendrait très vite à la maison.
Elle sourit tendrement en regardant les siens. Une telle loyauté, une telle détermination. Ils s'étaient tenus à ses côtés pendant près de huit années. Et maintenant, même après avoir été relevés de leur responsabilité et de leur obligation envers elle, ils étaient venus sans poser de question quand elle a fait appel à eux. Même dans ses rêves les plus fous, elle n'aurait pu imaginer une telle ténacité et un équipage si dévoué.
"C'est bon de vous revoir tous", dit-elle, un sourire discret tirant sur ses lèvres. "Je veux vous remercier d'être venus ici aujourd'hui. Je sais que nous sommes tous dispersés dans le Quadrant, de Vulcain à Betazed. Et pourtant, nous trouvons toujours les moyens et le temps de se rassembler quand nous avons besoin les uns des autres. C'est bien plus que ce dont n'importe quel Capitaine pourrait rêver."
Elle se racla la gorge et se força à aller droit au but. "Malheureusement, c'est plus qu'une réunion entre amis. J'ai des nouvelles du Commandement de Starfleet concernant chacun de nous et je voulais que vous l'entendiez de ma propre bouche. C'est le moins que vous méritez.
"Comme vous le savez tous, notre retour dans le Quadrant Alpha ne s'est pas complètement déroulé comme nous le souhaitions. La guerre avec le Dominion, entre autres choses, a apporté des changements significatifs dans la Fédération et nous avons retrouvé un Quadrant quelque peu différent de ce que nous avions laissé."
Elle vit Paris acquiescer de la tête et sut qu'il réprimait un rire sarcastique. Aucun doute que tous ressentaient la même dérision. Les blessures résultant de la façon dont les avait traités Starfleet étaient profondes et ne se refermeraient pas de sitôt. Et elle savait qu'elle allait leur en infliger une autre. Peu importe la façon de la formuler, cette nouvelle allait les blesser et les blesser terriblement.
"Certains des évènements qui se sont passés depuis notre retour ont été difficiles à comprendre et, dans certains cas, encore plus difficiles à accepter. Mais nous sommes restés forts, comme un groupe. C'est notre plus grand avantage, cette capacité à se fier les uns aux autres et à tirer notre force des autres. J'ai espoir que ceci ne changera pas, ni maintenant, ni jamais."
"Ce que je suis sur le point de vous dire vous parviendra, sans aucun doute, tel un choc pour vous, comme ça l'a été pour moi. Mais vous devez savoir." Elle regarda les visages de tous les officiers supérieurs, maudissant en silence Starfleet de lavoir mise dans cette position et désirant plus que jamais le regard sage et la force tranquille de Chakotay.
Mais Janeway était une réaliste, pas une rêveuse. Et elle savait que toutes les atrocités dans le monde ne pouvaient pas changer les faits. Et tous les souhaits de l'univers ne pouvaient pas ramener Chakotay à ses côtés. Elle allait devoir se débrouiller toute seule. Elle était, après tout, le Capitaine.
Elle releva les épaules, releva le menton d'un air de défi, comme si elle allait faire face à la reine Borg ou affronter le canon d'un phaseur. Ce qu'elle allait dire nécessitait autant de courage.
Dans son siège au fond de la pièce, le Docteur lança un regard à Tuvok. "Revoilà ce menton relevé. Oui, je dirai que 'quelque peu agitée' décrit certainement bien le Capitaine maintenant, n'est-ce pas, Commander ?"
Tuvok souleva seulement un sourcil, et retourna son attention vers Janeway.
Malgré la fermeté de sa mâchoire et sa position rigide, pas une seule personne dans la pièce ne pouvait manquer les traits tristes qui formaient une ombre sur le joli visage de Janeway. "Starfleet a pris une décision concernant le vaisseau." Sa voix n'ondula que légèrement en prononçant ces mots tout haut, tout à son honneur.
"Voyager va être désarmé."
Un silence de consternation emplit la pièce, tandis que l'ancien équipage du fameux vaisseau eut un mouvement de recul comme si l'on déversait du sel sur leur blessure collective. Le calme angoissant fut suivi immédiatement par un mélange de sons qui allaient des protestations furieuses à des cris d'incrédulité, en passant par les sanglots de consternation et au versement de larmes dans le calme.
"C'est horrible ! Pourquoi veulent-ils faire ça ?" dit Harry.
Samantha Wildman essuya une larme sur sa joue. "Naomi est née sur ce vaisseau. C'est là qu'elle a fait ses premiers pas, dit ses premiers mots..."
"J'ai du mal à voir la logique dans le démantèlement d'un vaisseau qui peut toujours servir", dit Vorik.
"Oui", ajouta Celes. "Surtout quand on réfléchit au nombre de vaisseaux que nous avons perdus pendant la guerre. On aurait pu penser que Starfleet aurait mis la main sur tous les vaisseaux en état de voler."
"Ils ne peuvent pas faire ça !" cria Ayala. "Nous devons trouver un moyen de les arrêter !"
Les réactions émotives étaient aussi variées et personnelles que l'étaient ces gens, et tous se jetèrent à coeur perdu dans la bataille autour de Janeway jusqu'à ce qu'elle se retrouve à lutter pour tenter de respirer. Tandis que les plaintes devenaient de plus en plus fortes et menaçaient de se propager à toute la foule, elle retrouva son calme et plaça ses mains devant elle.
"Mes amis, ne perdons pas notre contrôle", dit-elle, sa voix reprenant le ton familier de commandement qui avait tenu les rennes de ce groupe hétéroclite pendant presque dix ans. "Je sais que ce peu d'informations est... déconcertant, pour le moins qu'on puisse dire. Mais n'oublions pas les choses importantes."
"Ne perdons pas de vue les choses importantes ?" dit Mortimer Herron. "Capitaine, ils vont mettre notre vaisseau en morceaux ! Qu'y a-t-il a de plus important ici ?"
Janeway réprima un sourire. Elle se souvint d'un temps, il n'y avait pas si longtemps, quand Heron n'avait que faire d'eux et encore moins du vaisseau. Ils avaient tous fait un bond en avant individuellement et en tant que groupe durant leur voyage. Et c'est à ce moment que Janeway réalisa...
Que c'était ça qui comptait.
Le Voyager, pour autant que Janeway l'aimait, était seulement un vaisseau, une structure faite par l'homme. Ce qui avait rendu leur voyage si spécial, si mémorable, c'était les gens. Peu importe ce qui allait arriver au vaisseau qui les avait transportés à travers la galaxie, ils étaient toujours présents les uns pour les autres. C'était ça qui comptait. Et le réaliser lui insuffla une force, de celle dont elle aurait besoin pour affronter la cérémonie à venir.
"Il y a beaucoup de choses importantes, Monsieur Herron", dit-elle gentiment. "Regardez autour de vous. En cet instant précis, vous êtes entouré de vos anciens collègues d'équipage, par vos amis. Je me souviens de vous, à une époque, me disant ne pas avoir besoin, ni envie, d'amitié. Cela semble faire une éternité, n'est-ce pas ?"
Herron s'arrêta et sembla y réfléchir un moment. Puis il acquiesça et dit, "Oui Madame, en effet."
"Et pourtant vous voilà. Un membre précieux de ce groupe... de cette famille." Elle regarda ostensiblement autour de la pièce, tous les visages de ces gens. "Parce que c'est ce que nous sommes. Nous formons une famille."
"Je suppose que cela fait de toi le vilain beau-fils, Harry", taquina Paris. La désinvolture de Tom détendit immédiatement l'atmosphère, ce dont Janeway lui fut reconnaissant. Tom Paris avait le chic pour mettre de l'humour dans les situations les plus désespérées et, à ce moment précis, c'était ce dont l'équipage avait besoin.
"Le Voyager signifie beaucoup de choses pour nous tous", dit Janeway. "Mais je pense qu'il est important de se rappeler que le temps passé sur ce vaisseau sera toujours avec nous." Elle appuya sa main sur son coeur. "Juste ici, en nous. Rien ne peut changer ça. Pas même son désarmement."
"Voyons le bon côté des choses", dit Torres. "Au moins, nous pourrons le faire voler une dernière fois."
La tristesse assombrit une fois de plus le visage de Janeway. C'était la partie qu'elle redoutait le plus. "En fait... nous ne serons pas l'équipage qui pilotera le vaisseau de la Terre à Utopia Planitia."
L'humour de Paris était déjà oublié et les plaintes reprirent de plus belle. "Attendez une minute, les amis", dit Janeway, élevant légèrement sa voix pour se faire entendre au-dessus de la clameur. "Ecoutez-moi jusqu'au bout."
Elle attendit patiemment qu'ils se taisent et poursuivit. "Je sais que cette nouvelle est contrariante pour nous tous. Il est difficile d'imaginer pourquoi Starfleet souhaite démanteler un vaisseau qui nous a rendu de grands services. Mais la vérité est que tout cela n'a pas d'importance.
"Ce qui importe, c'est qu'on doit se ressaisir comme une famille. Il est important que nous soyons unis, maintenant plus que jamais. J'étais aussi déçue et en colère que vous l'êtes maintenant lorsque j'ai appris cette nouvelle, et je comprends ce que vous ressentez. Mais crier contre le vent ne sert à rien."
"Le Voyager est juste un vaisseau. C'est son équipage qui l'a rendu si remarquable. J'ai demandé à ce qu'on nous permette de le faire voler pour son dernier voyage, et ma requête a été rejetée. Je ne prétends pas comprendre la raison derrière cela. Mais comme je l'ai dit, cela ne fait pas de différence."
"Cela va arriver, et rien de que l'on pourra faire changera quoi que ce soit. Toutefois, nous avons été conviés à Utopia Planitia pour voir l'arrivée de Voyager et participer à la petite cérémonie en son honneur. Nous avons été invités pour sa sortie et je pense que nous lui devons bien cela."
Janeway regarda tout autour de la pièce, rencontrant les yeux du plus grand nombre possible. Sa voix crépita sous l'émotion en continuant. "Je ne peux plus vous donner d'ordres, tout ce que je peux vous demander, c'est votre coopération. Nous ressaisir tous signifie beaucoup pour moi. Je veux tous vous voir sur Utopia Planitia. Donnons à Voyager l'hommage qu'il mérite."
"Laissons le Voyager partir avec autant de dignité que lors de notre arrivée. Je ne peux pas vous l'ordonner, comme je ne suis plus votre Capitaine. Alors je vous le demande en amie."
Le silence était complet dans la pièce pendant ce qui parut être une éternité tandis que les anciens compagnons d'équipage se regardaient. Et c'est alors qu'Harry se leva, les larges épaules en arrière et la tête relevée. Il regarda Janeway ostensiblement. "Avec tout le respect que je vous dois, Madame, je me fiche de ce que dit Starfleet. Je pense parler pour la plupart d'entre nous en disant que vous serez toujours notre Capitaine. Vous n'avez pas besoin de vaisseau en état de marche pour avoir un équipage loyal qui vous aime, Capitaine. Vous l'avez, quoi qu'il se passe."
"Il a raison", dit le Docteur, debout lui aussi. "Nous ne vous suivons pas parce que vous nous l'ordonnez. Nous vous suivons parce que nous croyons en vous."
Tom Paris se mit debout à côté de son ami. "C'est la vérité, Capitaine. Nous croyons en vous, et vous nous avez appris comment croire en nous. Si vous nous voulez à vos côtés pour ceci, alors il n'y a nulle part ailleurs dans la galaxie où nous souhaiterons être."
Janeway regarda avec une surprise totale l'équipage tout entier se lever. Les verres s'étaient levés et le même toast porté résonna dans toute la pièce. "Au Capitaine."
Les larmes s'écoulèrent des yeux de Janeway et une vague de sincère affection s'écoula dans sa poitrine. Le muscle de sa mâchoire tressauta légèrement tandis qu'elle luttait pour se retenir de ne pas pleurer ouvertement devant son équipage. Elle n'était pas certaine de ce qu'elle avait fait pour mériter ces gens, mais elle les aimait, chacun d'eux tendrement.
Sa voix était à peine plus haute qu'un murmure quand elle leva son verre et dit, "A notre famille !"
"A notre famille !" reprirent-ils.
Catherine Janeway n'aurait pas pu être plus comblée de chaleur alors que ses yeux plein de larmes balayaient la pièce. Elle était, à ce moment-là, plus reconnaissante qu'elle ne l'avait été dans sa vie. Son seul regret était que Chakotay ne soit pas là pour partager ce moment avec elle.
 
***
 
Les sons étaient familiers. Il les avait entendus des centaines de fois auparavant. Il sut avant d'ouvrir ses yeux où il se trouvait. Son endroit secret. C'était une petite clairière, près du petit ruisseau où l'eau s'écoulait brièvement sur son chemin paisible jusqu'au lit de la rivière. C'était enfoui dans les arbres, en faisant la cachette parfaite pour un jeune garçon qui était souvent accablé d'un désir de rébellion et d'un sentiment de malaise.
Chakotay connaissait cet endroit aussi bien qu'il connaissait ses quartiers sur Voyager. Il connaissait les courbes de chaque branche d'arbres, la texture et la couleur de la terre sous ses pieds, même les rochers. Il connaissait les odeurs et les sons. C'était comme une thérapie pour lui, comme un baume pour son esprit souffrant. Il connaissait cet endroit aussi bien qu'il se connaissait lui-même pour l'avoir visité presque à chaque fois qu'il entamait une quête de vision. Son subconscient l'amenait habituellement à cet endroit, alors il s'y attendait.
Cette fois était différente, toutefois. Quelque chose manquait.
Le serpent.
Chakotay tendit le cou et examina la zone patiemment, en particulier le rocher au milieu de l'endroit ensoleillé. Mais le serpent jaune et vert n'était nulle part où il pouvait regarder. Une quête de vision sans son animal guide ? Il n'était pas certain que cela soit possible.
Bien que Chakotay sût que cet animal guide était simplement un conseil spirituel, et non pas une image de l'individu, il s'était toujours attendu à trouver un puissant animal pour le saluer. Un prédateur mince et musclé peut-être, comme un guépard ou même un lion. Ou, au moins, un animal gracieux comme un mâle ou même une araignée. Mais un serpent ? A cette pensée, un frisson lui avait parcouru le dos.
Mais, à sa propre surprise, Chakotay avait développé une incroyable adoration pour son animal guide furtif. Le serpent avait prouvé qu'il était un inestimable guide pour son âme contrariante. Il savait exactement quand le pousser, et quand le laisser aller à sa propre vitesse. Et maintenant qu'il n'était pas en train de lui glisser autour de ses jambes, il lui manquait.
Sa colère grandit tout à coup. Il n'avait pas fait tout ce chemin pour être tout seul dans son voyage. Maintenant plus que jamais, il avait besoin de ses conseils, ou tout du moins de son oreille attentive. Et elle n'était trouvable nulle part.
"Bonjour ?" appela-t-il.
Le silence fut sa seule réponse.
"Où es-tu ?" Il s'éloigna de sa cachette secrète et traversa la forêt tout en continuant à appeler son guide spirituel. "Hé ho ? Tu m'entends ?"
Il ne vit personne. Aucun signe du serpent, ou d'un quelconque autre animal d'ailleurs. La confusion lui fit plisser le front. Cela n'avait pas de sens. Il tourna la tête vers la clairière, et c'est alors qu'il sentit quelque chose. Il renifla profondément et sentit à nouveau. Une senteur qui n'appartenait pas à la forêt. Une senteur qui n'était pas l'oeuvre de la nature seule.
C'est alors qu'il le vit. Une légère ligne qui s'élevait au-dessus des arbres. De la fumée.
Il se dirigea dans cette direction avec la vitesse et la grâce d'un félin, poussant les arbres et toute la végétation de son chemin, pour arriver enfin, soufflant et haletant, à la source. Mais malgré la fumée qui s'élevait, il n'y avait aucun grand feu de forêt.
C'était un petit feu de camp, crépitant et brûlant dans un petit trou fait à la main entouré par des pierres soigneusement disposées. Et là, sur un rondin renversé, se réchauffant les mains sur le feu, se tenait un homme.
Il était plus vieux que Chakotay, et ses cheveux autrefois noirs étaient striés de gris. Ses yeux sombres étaient fixés fermement sur les braises incandescentes devant lui, et il ne leva pas le regard lorsque cet intrus arriva en trombe sur son territoire. Son visage était sage et bon et, au-dessus de son oeil gauche, il portait le tatouage tribal des esprits du ciel. C'était un visage que Chakotay connaissait bien.
Chakotay avala sa salive avec difficulté, préparant sa voix pour qu'elle ne tremble pas. "Père ?"
Kolopak leva les yeux du feu, une expression d'éternelle patience sur son visage assombri. "Tu es tout essoufflé, Chakotay. Pourquoi courais-tu ?"
"Je courais pour trouver la source du feu."
Kolopak fit un signe de tête comme s'il s'agissait de la réponse qu'il attendait. "Cela aurait pu être dangereux. Peut-être ne te rappelles-tu pas des coutumes de la tribu. Tu ne dois jamais approcher un feu déchaîné tout seul. Mais encore, tu n'as jamais été quelqu'un qui respectait les règles."
Chakotay avait la tête qui tournait. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait son père dans une quête de vision. Mais c'était la première fois depuis des années, et il trouvait ça quelque peu enthousiasmant. Ses pieds semblaient être gelés sur place, ses jambes pas disposées à bouger.
"J'ai appelé", dit-il. "Tu ne m'as-tu pas entendu ?"
"Oui, je t'ai entendu."
Chakotay leva les mains en signe de frustration. "Alors pourquoi n'as-tu pas répondu ?"
Kolopak était complètement imperturbable envers la contrariété de son fils. "Parce que ce n'est pas moi que tu appelais", sourit-il toujours aussi doucement. "N'est-ce pas ?"
"Je ne savais pas que tu étais ici. Comment aurais-je pu t'appeler toi ?"
Kolopak glissa sur le côté pour faire de la place à Chakotay sur le rondin. "Tu es soucieux. Viens t'asseoir avec moi, mon fils, et dis-moi ce qui te bouleverse tant."
Chakotay prit le siège offert sans hésitation. Il ne pouvait penser à rien d'autre qu'à son souhait intense, à ce moment, de s'asseoir à côté de son père près du feu. "Je suis retourné à Trebus, père."
Les sourcils de Kolopak se levèrent. "Pourquoi, Chakotay ?"
Il haussa les épaules. "La manière dont a péri mon peuple me hante toujours. Je pensais que peut-être si je retournais là-bas..."
"Ah", dit Kolopak. "Tu es venu dire au revoir. Tu as pensé que si tu venais à l'endroit où cela s'est passé, tu pourrais laisser tes fantômes se reposer."
"Oui."
Il tapota affectueusement la jambe de son fils. "Tes intentions sont aussi pures que ton coeur. Malheureusement, elles sont aussi mal avisées."
Chakotay secoua la tête. "Je ne comprends pas."
Kolopak alimentait le feu tandis qu'il parlait. "Trebus est juste un endroit, Chakotay."
"C'était un endroit que tu aimais. Tu vénérais cette terre, pensant même qu'elle était sainte. Comment peux-tu dire que c'est juste un endroit ?"
"Non." Kolopak secoua sa tête grise, mais ne bougea pas ses yeux du feu. J'ai remercié la terre. Ce n'est pas la même chose."
Chakotay secoua la tête. Même maintenant, certaines convictions de son père lui échappaient. "Que veux-tu dire par mes intentions sont mal avisées ?"
"Tu cherches à mettre fin aux cauchemars, aux cris dans ton esprit, n'est-ce pas ?"
"Oui. Je n'ai toujours pas trouvé la paix. Pas complètement. J'ai besoin de sceller tout ça."
"Non, mon fils. Tu as besoin de l'absolution."
Chakotay fixa son père d'un air interrogateur. "L'absolution ?"
"Oui, c'est un pardon que tu cherches, pas une résolution."
"Un pardon pour quoi ?"
Les yeux sombres de Kolopak errèrent sur le visage de Chakotay, un regard pénétrant qui entra dans sa propre âme. "Tu dois affronter ta culpabilité, Chakotay. Tu portes le remord et la haine dans ton coeur. Tu dois les laisser partir. C'est seulement après que tes démons arrêteront de crier."
"Je ne nourris de haine pour personne, père."
Le vieil homme secoua la tête tristement. "C'est une chose terrible que de mentir aux autres. Mais c'est impardonnable de se mentir à soi-même." Il regarda son fils avec tristesse. "C'est dans la nature humaine de haïr ceux qui nous ont fait du mal. Mais tu dois travailler pour y faire face et alors la laisser partir. Si tu refuses de l'admettre, et la laisser aveuglément envahir ton coeur, elle en prendra le contrôle."
Kolopak se leva et mit une autre bûche dans le feu. Tu es un vieil esprit, Chakotay. Tu en as vu beaucoup dans ta vie, plus que la plupart des âmes n'en voient en une dizaine de cycles de vies. Tu es très sage sous tout ton mécontentement. Tu dois surmonter les reproches que tu t'infliges. Il est temps pour toi de réaliser ton potentiel."
Le front de Chakotay se plissa maintenant. "Mon potentiel ? Que représente exactement mon potentiel ?"
"Tu portes ta culpabilité autour de ton cou comme une ancre. Cela te retient dans le passé. Cela t'empêche de chercher ce que ton coeur désire le plus parce que tu es trop ancré dans le passé."
"J'ai de bonnes raisons de me sentir coupable, père", dit Chakotay, sa voix montant légèrement malgré son effort pour contenir ses émotions. "La dernière fois que je t'ai vu en vie, je rejetais tout ce tu représentais. J'ai juré de ne pas être comme toi et je suis parti avec de la colère en moi."
"Oui", dit son père calmement. "Et tu as appris à partir de cela, n'est-ce pas ? Tu es devenu un homme meilleur en te servant de ce que tu as appris ce jour-là, et tu défends fermement ce en quoi tu crois."
"Non", cria-t-il en se levant. "J'étais exactement ce que tu as toujours dit que je serai. J'étais un contraire ! Je ne me suis pas élevé contre la tribu et toi pour ce que je croyais. Je l'ai fait pour être rebelle, pour prouver que je le pouvais. Je voulais être différent de toi !"
"Tous les jeunes veulent ça, Chakotay."
"Est-ce que tous les jeunes gens quittent leur famille ?" Il commença à marcher devant le feu tandis que ses émotions se heurtaient dans sa tête. "Je suis parti, père ! Et je ne t'ai plus jamais revu. J'aurais du être là. J'aurais dû te protéger ! Vous protéger tous !"
"Non !" Le timbre de la voix de Kolopak s'éleva en proportion de la voix de son fils. "C'était une chose horrible, mais notre temps était venu. Tu n'aurais pas pu nous protéger des Cardassiens, même si tu avais été là."
"Alors j'aurais dû mourir avec vous !"
"Quel but cela aurait-il servi ? Tu es ici parce que tu as un travail à effectuer, mon fils. Ton rôle dans cette vie n'est pas encore achevé."
Chakotay s'arrêta de marcher et fit face à son père. "Que veux-tu dire par là ?"
"Il y a des gens qui ont besoin de toi, qui dépendent de toi." Kolopak saisit doucement son fils par les épaules. Tu représentes beaucoup pour quelqu'un, Chakotay. Quelqu'un qui a besoin de toi bien plus que la tribu n'en a jamais eu besoin. Elle fait partie des vivants, et toi aussi. Tu dois être présent pour elle, embrasse la vie avec elle."
Chakotay sut immédiatement de qui parlait son père. Il fut soudainement inondé d'une sensation de grand désir, et sut instantanément que les sentiments n'étaient pas les siens. Il ressentait toutefois ses émotions, et elles menaçaient de le submerger. Son nom vint spontanément à ses lèvres. "Catherine ?"
Son père le secoua doucement, lui ramenant son attention au présent. "Trebus est mort, Chakotay. Moi aussi. Laisse partir ta culpabilité. Laisse-nous partir. Tu ne peux pas changer ce qui s'est passé. Tu ne peux que continuer ta vie, et te souvenir que nous sommes toujours avec toi par l'esprit. Nous ne voulons pas de ta culpabilité, Chakotay, nous voulons seulement ton bonheur."
"Il ne reste rien pour toi dans ce monde. Il est temps pour toi de dire au revoir et de ne jamais revenir. Ce n'était pas ta faute. Quitte cet endroit, et laisse tes remords derrière toi en partant."
Chakotay embrassa l'homme qui lui avait donné la vie, non pas une fois mais deux. "Merci, père."
Kolopak lui tapa fermement dans le dos. "Va vers elle, mon fils. Elle a besoin de toi à ses côtés. Tu ne peux rien faire pour nous. Mais tu peux tout faire pour elle."
Les yeux de Chakotay s'ouvrirent d'un coup sec, et l'image du feu et de son père disparurent. Il se retrouva assis au même endroit, sur la poussière et les cendres de Trebus, son équipement médicinal toujours déplié devant lui.
Déjà, les souvenirs de son 'voyage' commençaient à disparaître. Il se souvenait toutefois, avec une parfaite clarté, du message de son père. Il était étonné de se rendre compte que sa culpabilité s'estompait. Une pensée tenace prenait sa place. Catherine a besoin de moi. A partir de ce moment, plus rien d'autre ne comptait.
Il souleva son équipement et se dirigea vers la navette. Il s'arrêta avant d'ouvrir le hayon et regarda une dernière fois tout autour de lui. Il savait qu'il ne reviendrait pas dans ce monde, l'endroit où était mort son peuple. Il n'avait plus besoin de revenir. Ils n'étaient plus là. Il les emmenait avec lui dans son coeur.
Il sourit doucement pour lui-même tandis qu'il se glissait dans la navette. "Adieu, père", murmura-t-il. Il s'arrêta un instant pour écouter attentivement. Les démons ne criaient plus désormais.
 
***
 
Janeway sortit de la navette, l'appréhension pesant lourdement sur son coeur. La perspective du moment qui l'attendait ne la réjouissait pas du tout. Elle avait fait face à de nombreux défis durant la décennie passée. Mais toutefois, elle savait que celui-ci serait beaucoup plus difficile que tous ceux qui avaient précédé.
Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas le visage familier qui se trouvait devant elle, attendant qu'elle débarque. Par conséquent, elle le fixa du regard un instant quand il se mit à parler.
"Capitaine Janeway, bienvenue à Utopia Planitia. Je serai très heureux d'être votre escorte personnelle."
Elle leva les yeux sur le beau visage d'Harry Kim. A sa vue, un énorme sourire se propagea sur tout son visage. Catherine Janeway aimait profondément chaque membre de son équipage. Mais elle avait toujours eu un petit faible pour Harry. Et un visage amical était un signe de bienvenue, étant donné les circonstances.
"Bonjour, Lieutenant", répondit-il en souriant. "C'est très agréable de vous revoir. Escortez-vous tous les officiers de haut rang, ou suis-je juste spéciale ?"
"Le mot 'spéciale' ne vous rend pas justice, Madame." Il lui offrit son bras et la mena en bas du couloir.
"Et bien, merci, mais la flatterie n'est pas vraiment nécessaire. Je ne suis plus votre patron, Harry."
"Exact", dit-il. "Mais je ne perdrais pas mon temps en flatterie de toute façon. Cela n'a même pas fonctionné lorsque vous étiez mon patron."
Elle gloussa et ajusta son col pour plaisanter. "C'est parce que vous ne portiez pas ce nouvel uniforme sur le vaisseau. Si vous l'aviez eu, je me serais efforcée de réviser l'idée que je me faisais de la flatterie. Vous avez l'air plutôt beau, Monsieur Kim."
Harry rayonna comme un écolier. "Merci, Capitaine. Vous portez vous aussi le nouvel uniforme à merveille. Mais en fait, même si j'aime flatter un Capitaine, je suis ici en mission officielle."
Janeway leva un sourcil. "Oh ?"
Harry s'arrêta de marcher et regarda Janeway avec le sourire du chat Cheshire (Alice au Pays des Merveilles, ndt). "C'est ma nouvelle affectation."
"Ici, à Utopia Planitia ?", dit Janeway avec surprise.
Harry fit un signe de tête, ses cheveux noirs retombant sur son front. "C'est vrai, je vais travailler sur un nouveau prototype."
C'était au tour de Janeway de sourire. Toujours ce côté scientifique, la perspective qui lui piquait sa curiosité. "C'est vrai ?" Elle lui tapa sur la poitrine par taquinerie, un scintillement malicieux dans ses yeux bleus. "Y a-t-il une chance que vous donniez un indice à votre Capitaine préféré ?"
"Absolument. Je savais que vous ne le verriez pas autrement." Il montra le couloir qui partait à droite. "Par ici."
Les deux bavardèrent amicalement en arpentant les couloirs, et Janeway pensa trouver un réconfort dans la présence d'Harry. Elle nota mentalement de le remercier de sa gentillesse avant la fin de journée.
Absorbée par la conversation, Janeway ne remarqua même pas le personnage qui approchait alors qu'ils tournaient à une intersection. Elle se cogna à pleine vitesse contre le derrière d'une grande femme, les projetant toutes les deux au sol. Janeway laissa échapper un 'Umph' pas très digne d'un Capitaine.
"Je suis désolée", grogna Janeway tandis qu'Harry la remettait sur ses pieds. "Vous allez bien ?"
La femme blonde se leva et se tourna face à eux, un regard d'indignation silencieuse sur son visage. "Je suis non endommagée."
"Seven ?", dirent Janeway et Harry à l'unisson.
Elle acquiesça majestueusement. "Capitaine, Lieutenant. C'est agréable de vous revoir tous les deux."
"Je suis content de vous voir, aussi", dit Harry.
Janeway reposa une main sur l'épaule de Seven. "Je m'excuse de vous avoir renversée, Seven, je ne vous avais même pas vu."
"Excuses acceptées."
Janeway sourit doucement à la jeune femme, la pensée de sa récente épreuve traversant son esprit. Elle avait enduré de telles haines épouvantables. Rien que d'y penser lui faisait mal au coeur. "J'avais l'intention de vous contacter. Vous avez enduré beaucoup depuis notre arrivée dans le Quadrant Alpha. Comment allez-vous ?"
Seven évita son regard très brièvement. Elle était à nouveau en pleine possession de sa force habituelle et de son détachement émotionnel quand elle dit "J'ai.... récupéré de façon efficace."
"Je suis heureuse de l'entendre", répondit Janeway.
Harry observa Seven de façon discrète pendant l'échange. Il était étonné de voir comme elle semblait équilibrée et contrôlait la situation, particulièrement après ce qui lui était arrivé. Il se souvint avec une précision douloureuse l'inhabituelle vulnérabilité sur le visage terreux tandis qu'il la libérait de ses 'chaînes'. C'était un contraste frappant avec la femme forte et apparemment décidée qui se tenait devant lui.
Il s'étonnait de sa détermination. Mais en même temps, il se demandait à quel point cela n'était qu'une apparence à leur attention. L'éducation Borg de Seven ne lui avait rien appris des sentiments humains, et Harry savait que c'était un concept pour lequel elle se battait avec sérénité.
Il la toucha légèrement au coude. "Je suis heureux de voir que vous allez bien. Mais j'espère que vous savez que si vous avez besoin de quelque chose, de quoi que ce soit, vous pouvez vous adresser à moi."
Elle le regarda pendant un court moment avec quelque chose qui ressemblait à de la tendresse et hocha la tête en signe de reconnaissance. "Je voulais vous remercier, Lieutenant, pour votre aide dans ma... situation. Votre aide fut grandement appréciée. Je n'oublierai pas votre gentillesse, ou votre discrétion."
Harry ne réussit pas à réprimer un sourire enfantin. Il s'agissait d'un éloge enthousiaste de la part de Seven. "Tout le plaisir était pour moi. Pour une fois, c'était Buster Kincaid à la rescousse."
A la grande surprise d'Harry, Seven sourit légèrement en fait. "Que dirait le Capitaine Proton ?"
Janeway observa l'interaction entre ses deux anciens équipiers avec un intérêt interrogateur, mais ne dit rien. Elle était heureuse de voir que Seven ressentait une certaine intimité avec ses camarades d'équipage. Quelquefois, tout ce dont quelqu'un avait besoin, c'était d'un véritable ami, et le monde devenait un endroit acceptable.
"Nous allons jeter un oeil au nouveau prototype", dit Harry. "Vous venez avec nous ?"
Seven sembla réfléchir à l'offre pendant un court moment. Puis elle acquiesça. "Je vous accompagne."
La discussion fut courte jusqu'au hangar contenant le prototype du vaisseau. Même si loin qu'il était d'être terminé, Janeway pensa qu'il était superbe. Bien qu'elle doute qu'aucun vaisseau, peu importe sa sophistication, puisse rivaliser avec le Voyager. Chaque cicatrice de bataille le rendait plus beau.
Depuis qu'elle était toute petite, elle était séduite par les lignes élégantes des vaisseaux de Starfleet. Les tôles brillantes des coques en argent, le bleu incandescent des nacelles se tenant fièrement sur chaque côté, ils étaient tous esthétiquement très agréables à regarder. Mais le vaisseau de classe Intrépide était juste incomparable à quoi que ce soit. Il était unique dans son design et elle avait été honorée de le commander.
Seven of Nine écoutait pendant qu'Harry leur donnait avec enthousiasme un récapitulatif des meilleurs atouts du nouveau vaisseau. Il était excité comme jamais ils ne l'avaient vu en louant les vertus du vaisseau à ses amis, et Seven se demanda ce que cela faisait d'éprouver autant de fierté pour un travail, de devenir si animé par un simple engagement dans une tâche.
Janeway n'écoutait que d'une oreille, ses yeux naviguant avec curiosité et attention sur le vaisseau encore au stade embryonnaire. Elle observait une équipe d'ingénieurs et de techniciens en train d'assembler un gros objet et de commençer à l'installer dans un endroit qui finirait par devenir l'ingénierie.
Elle eut le souffle coupé en le regardant. Elle reconnut l'équipement immédiatement. Elle en était sûre.
C'était la technologie 'transwarp' des Borgs.
 
***
 
Le commandant Tuvok se tenait près de la grande fenêtre sur le pont d'observation et regardait passer ses anciens co-équipiers. Ils arrivaient en groupe, la plupart d'entre eux accompagnés des membres de leur famille ou d'amis. Lui-même était arrivé avec T'Pel à ses côtés. Ce n'était pas parce qu'il avait besoin d'elle pour un soutien émotionnel, comme c'était le cas pour cette cohorte humaine. Après tout, elle avait servi comme conseillère du vaisseau, alors sa présence était justifiée.
Tuvok nota l'ambiance mélancolique qui s'infiltrait dans la pièce. Il savait que ses associés pleuraient l'imminent désarmement de Voyager. Il fut un temps où il ne pouvait pas comprendre la tendance qu'avaient les humains à ressentir un sens du dévouement, même de l'amour, pour un objet inanimé. La fidélité du Capitaine Janeway pour son vaisseau lui était,à cette époque, également tout à fait étrange.
Toutefois, pendant les derniers mois de sa fonction sur Voyager, il s'était... accoutumé aux sons et aux vues familiers à bord du vaisseau. Maintenant qu'ils ne faisaient plus partie de sa vie quotidienne, il se rendait compte qu'ils lui manquaient.
Il comprenait pourquoi ses collègues se sentaient opprimés aujourd'hui. Même s'il ne l'admettrait jamais à voix haute, il partageait leur peine..., autant que puisse le faire un Vulcain, en tout cas.
Il fit un signe de la tête lorsque Tom Paris approcha et recommença quand il vit B'Elanna Torres suivant derrière. Elle tenait leur fille dans ses bras, et Tuvok remarqua silencieusement qu'elle ressemblait fortement à sa mère.
"Hé, Tuvok", dit Tom. Il lança un sourire charmeur à la femme attirante de Tuvok."T'Pel, content de vous revoir."
La femme Vulcaine hocha la tête majestueusement. "Moi aussi"
B'Elanna passa Miral d'une hanche à l'autre et hocha la tête en direction d'un groupe de jeunes femmes d'équipage de cartographie stellaire. Elle se serraient dans les bras les unes les autres et pleuraient, presque comme si elles assistaient à un service funéraire.
"Certaines personnes prennent cela terriblement mal, n'est-ce pas ?" dit-elle.
"Ouais", répondit Tom en haussant les épaules. "Mais c'est compréhensible. Ce vaisseau a été tout ce que nous avions pendant huit ans. Il me paraît normal que certaines personnes aient du mal à oublier."
"Néanmoins", déclama Tuvok, "ils le devraient. En fait, ils n'ont pas le choix."
Tom regarda Tuvok avec curiosité. "Cela doit vous sembler plutôt illogique, hein, Tuvok ? Toutes ces pleurnicheries pour un stupide vaisseau ? Cela doit être plutôt ridicule pour quelqu'un qui ne ressent pas d'émotions."
"Au contraire", répondit-il posément. "Les vulcains sont disciplinés. Nous apprenons à un très jeune âge à contrôler nos émotions. Nous les supprimons, mais cela ne signifie pas que nous ne les ressentons pas à un certain niveau. Ne mélangez pas contrôle et absence, Monsieur Paris. Je ne suis pas immunisé contre les effets de ces événements."
B'Elanna se pencha assez près de son mari pour lui murmurer à l'oreille. "Je t'avais prévenu qu'il te dirait ça."
Tom, l'air tout à fait penaud, dit simplement, "J'ai l'impression que je n'avais pas realise..."
"La plupart des non-Vulcains e le réalisent pas, Monsieur Paris", dit T'Pel.
"Ah, regardez", dit B'Elanna. "Voilà le Capitaine." Elle fit un signe de tête à Janeway, qui faisait le tour de la pièce, les saluant tous individuellement comme elle le faisait quand elle était sur le vaisseau. Sauf que d'habitude, Chakotay l'accompagnait, alors qu'elle était seule aujourd'hui.
B'Elanna fit un sourire rapide au couple Vulcain et embrassa la main potelée de Miral. "Viens, mon ange. Allons voir le Capitaine Janeway. Quelque chose me dit qu'elle va vouloir te pincer les joues."
Torres se fraya son chemin à travers la foule qui grossissait rapidement, souriant, répondant aux nombreuses salutations et aux interrogations des divers membres de l'équipage sur la croissance de Miral. Lorsqu'elle arriva à hauteur de Janeway, celle-ci discutait cordialement avec le docteur.
L'HMU rayonna plus qu'un hologramme ne le devait quand son regard tomba sur B'Elanna et Miral arrivant à travers de la foule. "Et voilà ma petite filleule." Il tendit les bras pour recevoir la petite fille que B'Elanna lui tendit avec joie. Miral semblait être plus lourde chaque jour et ses bras douloureux se réjouirent de ce répit.
"Bonjour, B'Elanna", dit Janeway. Où est votre autre moitié ?"
B'Elanna eu un sourire en coin. "Par là-bas, discutant émotions avec Tuvok."
Le front de Janeway se plissa. "Brave homme."
"Vous savez ce que l'on dit", dit l'HMU. "La démarcation est faible entre la bravoure et la folie."
"Ouais", gloussa Torres. "Et il est sur le fil du rasoir tous les jours."
Miral eut un fou rire joyeux quand le Docteur lui chatouilla le ventre. Janeway supposa que la plupart des gens trouverait plutôt bizarre de voir un hologramme faire un câlin à un bébé. Mais pour elle, c'était la chose la plus naturelle au monde. Cet hologramme était, après tout, doué de sensations et capable d'aimer et d'avoir des émotions. 'Je pense donc je suis.'
"Cela vous embêterait de jeter un œil sur elle une minute, Doc ? J'aimerai parler au Capitaine."
Le Docteur sourit de manière ridicule au bébé sans la quitter des yeux un seul instant. "Pas du tout. Nous serons bien tous les deux, n'est-ce pas Miral ? Oui tu verras."
B'Elanna eut une forte envie de faire une remarque sarcastique sur comment un bébé pouvait instantanément réduire une pièce d'adultes matures en un groupe de clowns de cirque baragouinant, mais elle se rendait compte qu'elle rentrait très bien dans cette catégorie elle-même. Du coup, elle s'abstint. A la place, elle le remercia tout simplement et prit Janeway par le bras pour l'éloigner.
"Toujours rien de la part de Chakotay ?" demanda t-elle.
"Pas un mot", répondit Janeway. "Je ne sais même pas s'il a eu mes messages."
B'Elanna secoua sa tête tristement. "Il va s'en vouloir d'avoir raté ça. Je le connais assez pour dire qu'il voudrait absolument être là."
"Oui", dit Janeway. "Je suis d'accord. Et je sais que je me sentirais mieux s'il était là. Sa présence est un réconfort pour l'équipage."
B'Elanna regarda attentivement son ancien Capitaine. Etait-ce du désir qu'elle voyait sur le visage de Janeway ? Elle laisserait presque voir qu'elle en pinçait pour lui. Etait-ce possible ? "Je pense que sa présence est un réconfort pour le Capitaine aussi", s'aventura-t-elle.
Janeway ne dit rien. Elle reposait simplement une main sur l'épaule de B'Elanna et sourit tristement. Mais B'Elanna n'était pas prête à laisser tomber maintenant. "Que se passe-t-il entre vous deux, Capitaine ?"
Janeway tenta de dresser ses traits en une expression neutre et ouvrit la bouche pour formuler une réponse évasive. Heureusement pour elle, ils furent interrompus avant qu'elle ait eu le temps de parler.
Janeway sentit une secousse persistante sur le coude de son uniforme tout en entendant une douce voix. "Capitaine ?"
Son regard descendit vers le visage préadolescent de Naomi Wildman. Janeway écarquilla les yeux en grand quand elle vit la fille qui jadis lui faisait un câlin sur ses genoux et demandait à écouter des histoires sur l'espace et le commandement d'un vaisseau. Elle semblait mûrir chaque jour, grâce à ses gênes K'tarian.
Son visage, autrefois rond et enfantin, commençait à s'affiner, attirant plus l'attention sur ses hautes pommettes et ses yeux grands et lumineux. Ses cheveux longs, d'un rouge pâle, étaient bouclés de manière attrayante autour de son visage, lui donnant une apparence moins juvénile. Elle était en train de devenir une belle femme juste devant ses yeux.
"Bonjour, Naomi", Janeway rayonnait, attirant la jeune fille dans ses bras. "Tu as l'air si jolie aujourd'hui !"
"Merci", dit Naomi, souriant au compliment de son plus grand modèle.
B'Elanna regarda autour d'elle avec l'air d'attendre quelque chose. "Où est ta mère ?"
Noami montra la grande fenêtre. "Elle est par là avec susan Nicolletti. Elle a beaucoup pleuré. Je pense qu'elle prend tout cela très mal."
Janeway se baissa, mettant sa tête tout contre celle de Naomi. "Et toi alors ? Comment le prends-tu ?"
Naomi haussa les épaules, essayant au mieux d'apparaître nonchalante à propos de toute cette affaire. Mais ses yeux ronds se remplirent immédiatement de larmes malgré elle. "Je vais bien. C'est juste que... Le Voyager a été la seule maison que j'ai connue durant presque toute ma vie. C'est étrange de penser que je ne pourrais plus y retourner." Sa voix se cassa tandis que les larmes la trahissaient et coulaient le long de ses joues. "Il va vraiment me manquer, c'est tout."
Janeway attira la fille dans ses bras une seconde fois, des larmes inondant ses propres yeux. "Il va nous manquer à tous, à tous."
A l'autre bout du pont d'observation, Icheb se tenait là tout seul, étudiant la foule. Finalement, il aperçut sa cible. Seven of Nine se tenait près de la porte, ses yeux parcourant la foule d'un air détaché. Il traversa la foule, à travers la famille du Voyager.
"Seven", dit-il pour la saluer.
Elle hocha la tête en réponse. "Contente de te voir, Icheb."
"Content de te voir aussi. Comment vas-tu ?"
"Je suis en bonne santé", dit-elle. "Et toi ? Comment progressent tes études à l'Académie de Starfleet ?"
Etant un ancien drone Borg, Seven était tout à fait capable d'être multitâches. C'était pour cette raison qu'elle était capable d'écouter Icheb faire le compte-rendu de ses activités scolaires, en comprenant chaque mot, pendant qu'elle observait la foule.
Elle hocha la tête aux moments appropriés pendant le discours de Icheb. Mais son attention était concentrée essentiellement sur deux individus de l'autre côté de la table des boissons. Elle les étudia avec soin. Elle ne les reconnaissait pas, ni en tant que membres d'équipage du Voyager, ni y étant associés. Qui étaient-ils ?
Ils étaient tous les deux de sexe masculin, apparemment humains. Ils portaient des habits civils et non des uniformes de Starfleet, et semblaient se déplacer furtivement dans la pièce, se tapissant presque dans les coins d'ombre et agissant pourtant de manière incroyablement désinvolte. Quelque part, elle sentait qu'ils n'étaient pas à leur place ici. Mais elle trouva leur présence plus curieuse que menaçante.
Elle pensa en informer le Capitaine Janeway, mais fit finalement abstraction de ses soupçons. Son épreuve toute récente la rendait apparemment excessivement prudente. Ils étaient probablement juste des membres de famille des members d'équipage ou des amis qu'elle n'avait pas encore rencontrés, alors elle les oublia, les considérant sans intérêt, et reporta son attention vers Icheb.
Après trente minutes d'embrassades, de rigolades et même de pleurs avec son ancien équipage et leur famille, Janeway fut informée par un jeune enseigne que le Voyager allait bientôt arriver, et que si elle souhaitait faire une déclaration officielle, c'était le moment idéal.
Elle se plaça au centre de la grande baie d'observation et fit face à la foule. Dans la tradition consacrée par l'usage pour faire le silence, elle tapa dans son verre avec une cuillère. "Puis-je avoir votre attention, s'il vous plaît..."
La pièce devint calme tandis que tout le monde se mettait en place et portait son attention vers le Capitaine. Elle leur sourit affectueusement et ramena une mèche de cheveux auburn derrière son oreille.
Elle parcourut la pièce du regard une fois de plus, espérant encore pouvoir apercevoir son ancien Premier Officier. Oh, Chakotay, tu es en train de tout manquer. Où es-tu ? Il était l'heure. Elle allait devoir le faire sans lui.
"Il y a huit ans, beaucoup d'entre vous ont embarqué dans un nouveau vaisseau pour une mission de deux semaines dans les Badlands. Nous n'avions pas idée qu'il ous faudrait près de dix ans avant de remettre les pieds dans le Quadrant Alpha. "
Elle sourit à B'Elanna. "Nous ne savions pas non plus que les gens que l'on nous avait envoyés arrêter deviendraient partie intégrante de notre équipage et partie intégrante de nos vies."
Son regard se tourna vers Seven of Nine. "Nous avons trouvé d'autres nouveaux membres d'équipage en route et les avons intégrés dans notre famille hétérogène, et eux aussi sont devenus partie intégrante de nos vies.
"Le Voyager s'est développé pour devenir plus qu'un simple vaisseau spatial. Il est devenu une communauté. Il est devenu notre maison. Des amitiés se sont développées, l'amour a été trouvé, et de nouvelles vies sont nées. Nous avons dit adieu à de vieux amis et accueilli de nouveaux. Nous avons vu des choses que personne de notre propre monde n'avait vu avant, et rencontré d'innombrables nouvelles espèces. Et depuis le début, nous avons appris à nous connaître, à découvrir nos immenses aptitudes et talents.
"Chacun de vous a montré plus de courage que je ne pouvais l'imaginer. Et vous n'avez jamais abandonné, peu importe la tournure sinistre que prenaient les choses. Vous avez persévéré, vous vous êtes tenus les coudes. Vous n'avez jamais cessé de croire que nous reviendrions, même pas quand vos doutes menaçaient de vous envahir."
Janeway essuya une larme de son œil et tenta de ravaler la boule qui grossissait dans sa gorge. "J'ai toujours cru qu'une partie de mon travail en tant que Capitaine était de guider mon équipage, leur enseigner et les instruire. Mais jusqu'à notre voyage sur le Voyager, je n'avais pas idée qu'une partie de mon travail consisterait à apprendre de mon propre équipage."
"Je vous ai vu mettre de côté vos différences et vos préjugés et apprendre à travailler ensemble. Vous avez changé votre animosité en efficacité, et la haine en amitié. La plupart des gens ne font que parler de tolérance et de compassion, mais vous, vous les avez vécus, en en faisant quelque chose de réel."
"En même temps, vous m'avez appris la dévotion et la loyauté. Et vous m'avez appris qu'un Capitaine de Starfleet qui souhaite apprendre la noblesse et l'unité n'a pas besoin de voir plus loin que son propre équipage."
"Nous sommes là aujourd'hui pour faire nos adieux au Voyager. Mais j'espère que vous allez tous vous souvenir que tous les moments incroyables que nous avons eus pendant notre voyage n'étaient pas liés à ce vaisseau. Ils étaient dus aux personnes incroyables qui lui ont donné vie."
"Nos carrières et nos familles nous emmènent dans une multitude de directions, et nous ne nous voyons plus chaque jour. Mais en démarant dans vos nouvelles vies, s'il vous plait, emportez ces connaissances avec vous."
"Vous avez formé l'équipage le plus incroyable qu'un Capitaine puisse espérer avoir, et je suis quelqu'un de meilleur depuis que je vous connais. Quand vous partirez d'ici aujourd'hui, vous le ferez avec mon admiration et mes remerciements.
Janeway ravala ses larmes en clignant des yeux et leva son verre. "Puissions-nous ne jamais oublier."
La pièce résonna sous un tonnerre d'applaudissements, et beaucoup d'Officiers Supérieurs se précipitèrent pour embrasser leur Capitaine qui les avaient ramené à la maison. Partout dans la pièce, les gens s'embrassaient, certains ravalaient leurs larmes et d'autres pleuraient ouvertement.
Une voix non familière monta du système de communication. "Puis-je avoir votre attention s'il vous plaît. Si vous dirigez votre attention vers la baie d'observation du mur opposé, l'USS Voyager est en approche et va s'arrimer d'un moment à l'autre.
Le cœur de Janeway lui descendit jusque dans les bottes. Le moment était arrivé et elle se rendit compte que ses mains tremblaient malgré ses tentatives pour les contrôler.
Elle se tourna vers la vitre juste à temps pour voir l'approche lente de Voyager vers l'aire d'amarrage. Le très beau vaisseau, bien qu'abîmé, était toujours brillant et élégant, malgré tout ce qu'il avait traversé et vu, et il bougeait avec sa grâce coutumière tandis qu'il se laissait glisser délicatement dans la baie.
Une larme s'échappa de l'œil de Janeway et glissa librement le long de sa joue, mais elle s'en fichait. Ce vaisseau les avait gardé en vie pendant les huit dernières années. Il méritait bien au moins une larme ou deux de son Capitaine.
Elle sentit le soutien d'une main sur son dos et se tourna pour voir le visage en pleurs de Tom Paris. Elle savait que sa peine devait être aussi intense que la sienne et se demanda s'il en voulait, à ce moment précis, au pilote inconnu qui tapait sur sa console à la barre et faisait fonctionner les manettes que Paris connaissait mieux que n'importe quel autre.
Mais elle ne voyait aucune amertume sur le beau visage. Juste une tristesse silencieuse, et même un profond respect pour ce vaisseau qui l'avait arraché à ses vieux fantômes et lui avait offert une nouvelle vie.
Janeway était sur le point de tomber dans les bras offerts de Tom pour s'accorder un peu de réconfort lorsqu'elle fut prise d'une forte envie soudaine de tourner la tête vers la porte. C'était déchirant d'arracher ses yeux de l'image de son vaisseau, mais elle était comme contrainte de se tourner.
Elle pivota sur ses talons et fit face à la porte juste à temps pour voir un visage familier jaillissant du couloir. Janeway se frotta carrément les yeux, convaincue qu'ils lui jouaient un tour. Mais quand elle les rouvrit, elle vit de nouveau ce visage.
Chakotay se tenait dans l'embrasure de la porte, haletant comme s'il avait couru, une main tenant le montant de la porte en s'arc-boutant.
Janeway eut l'impression que sa mâchoire tombait sur le pont. Elle sentit de nouveau les larmes lui inonder les yeux et brouiller sa vision. "Chakotay", murmura-t-elle.
"Mon Dieu, ça alors", dit Tom derrière elle.
Les yeux noirs de Chakotay balayaient la pièce frénétiquement, cherchant Catherine dans la foule. Et soudain, il l'aperçut. Leurs yeux se verrouillèrent un moment, et tout dans la pièce sembla s'arrêter.
Les émotions de Janeway se heurtèrent dans sa tête et elle eut du mal à respirer. A ce moment, il n'y avait plus de décence ni de bonne tenue. Elle ne se souciait pas de faire une scène ou d'attirer l'attention. Tout ce qu'elle savait, c'était que Chakotay avait retrouvé son chemin juste au moment où elle avait le plus besoin de lui.
Pour la première fois depuis des années, Catherine Janeway suivit son cœur. Elle courut jusqu'à la porte, jusqu'à Chakotay. Il lui ouvrit ses bras.C'était là que se trouvait le réconfort. Là que se trouvait la consolation.
Sans aucune pensée ou égard pour qui que ce soit ou quoi que ce soit, Janeway se jeta dans les bras de Chakotay. Il enroula ses bras forts autour d'elle et la tint serrée contre sa poitrine. Elle enroula ses bras autour de son cou et il enfouit son visage dans ses cheveux. "Je suis là, Catherine", murmura t-il. "Je suis là."
 
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Ecrit par: LadyChakotay
version française: Marie-Laure et Christophe
Producteurs: Thinkey, Anne Rose et Coral
Remerciements aux différents correcteurs: Propita (version originale), Laurent (version française).

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